Transcription complète : L'Aidance, le Care et l'Entreprise (Dr Hélène Rossinot)

Thèmes abordés (Extraits) :Donc il faut nous envoyer, nous, CEO, un stage au Canada. Dire qu'on change les couches de son enfant, ça paraît une évidence. Dire qu'on change les couches de son parent, beaucoup moins. Un homme, ce serait un héros moderne, et une femme, elle ferait simplement son devoir. Je sais que quand je dis ça, je suis le cauchemar de tous les RH. Donc l'aidant, c'est le non-poli pour le travail gratuit des femmes. Donc il faut arrêter d'être 100% dans la théorie, c'est un sujet humain. Il y a des aidants qui commencent à le mettre dans les CV. Moi je suis aidante aussi, j'ai un petit frère qui est autiste. Il faut accepter de dire ça va pas et il faut accepter de l'entendre aussi. Un quart des Français mènent aujourd'hui une double vie. Il y a celle que l'on voit au bureau et celle plus discrète, parfois totalement invisible, dédans. Officiellement, il serait 11 millions. Mais depuis la crise du Covid, la réalité a explosé ses statistiques. On estime désormais qu'entre 15 et 20 millions de personnes en France accompagnent au quotidien un proche malade, âgé ou en situation de handicap. Concrètement, cela signifie qu'un salarié sur quatre est concerné. Peut-être s'agit-il de vous qui aidez votre mère atteinte d'Alzheimer, de votre tante qui s'occupe de son mari handicapé, ou encore de votre meilleure amie qui prend soin de son enfant autiste. Et ce phénomène ne va faire que s'amplifier. Avec le vieillissement de la population, on estime qu'en 2040, près d'un tiers des actifs pourraient être aidants. Les entreprises seront donc inévitablement confrontées à cette réalité. Comment continuer à fonctionner, à innover, à performer, quand la majorité de leurs collaborateurs devront jongler entre vie professionnelle et aidance. Alors, combien ça coûte de ne pas voir ce qu'on ne veut pas voir ? On va en parler sans filtre avec le Dr Hélène Rossinot, fondatrice de Because We Care et auteure de nombreux ouvrages sur le sujet, dont Ma famille, Mon job et moi, qui a popularisé le terme d'aidant en France. Bienvenue dans Beyond Work and Life, je suis Benjamin Suchard, cofondateur et directeur général de Worklife. C'est parti !

(Séquence d'extraits médias)

Benjamin Suchar : Bonjour Hélène, merci beaucoup d'avoir accepté mon invitation.

Dr Hélène Rossinot : Bonjour Benjamin.

Benjamin Suchar : Pour commencer, j'aimerais qu'on parle d'un terme qui a une tension sémantique assez forte, c'est le terme de care. Le care, c'est devenu un vernis de bienveillance que les entreprises mettent en avant dans leur culture. Mais il y a une vraie problématique quand on le confronte à ce que tu décris, l'aidance. Pour faire face à cette réalité, est-ce qu'il faut une révolution culturelle au sein des entreprises ? Auprès des managers et pas seulement un tour de passe-passe marketing.

Dr Hélène Rossinot : Oui, là, tu touches quelque chose qui, pour moi, est extrêmement important. Le care et le soin de manière générale. L'humanité, pour moi, ça a trop souvent été utilisé pour des opérations de com' pour des journées à thème. D'ailleurs, quand on regarde le bureau de beaucoup de RH, on voit alors ils ont beaucoup de thèmes à traiter. Il y a un nombre de flyers assez impressionnant. On demande aux entreprises de gérer à la place de l'État beaucoup de sujets. Mais du coup, au lieu que ce soit bien fait, c'est trop souvent une demi-journée, une journée, un événement et rien de plus. Alors que sur ces sujets du Caire et celui des Edens qui m'intéressent particulièrement, c'est des vies derrière qui sont en jeu. Et je ne dis pas ça pour être dramatique. Non seulement ça concerne des millions de personnes, mais quand l'aidant ne peut pas continuer à travailler parce que c'est trop compliqué de jongler, il risque de tomber dans la précarité, ça a un impact sur les retraites. Et derrière, la prise en charge du patient, si l'aidant finit en burnout, elle est touchée aussi et elle peut être dégradée aussi. Donc ce que les entreprises ne réalisent pas, c'est qu'elles ont un impact énorme sur la prise en charge des patients, sur des familles entières et qu'elles ont un rôle sociétal très, très important. Donc il faut sortir de la com', peut-être parfois en faire moins, mais le faire mieux.

Benjamin Suchar : D'ailleurs, c'est intéressant parce que quand on est salarié, on se pose la question de savoir aussi si on est aidant. Tu dis la moitié des gens qui viennent me voir, ils viennent te demander est-ce qu'ils sont aidants, mais il faut l'autorisation pour pouvoir être aidant.

Dr Hélène Rossinot : Alors, c'est juste que le sujet est très très mal connu. En fait, tout le monde pense qu'il y a un statut de l'aidant ou qu'on doit se déclarer aidant quelque part. Le truc, c'est qu'en France, c'est plus compliqué que ça parce que nous, on aime les cases. Quand on regarde la loi, on a une définition des aidants de personnes âgées, une définition des aidants de personnes handicapées. On n'a rien pour les aidants de personnes malades. Alors c'est quoi être aidant ? Être aidant, c'est aider au quotidien ou en tout cas de manière régulière un proche, malade, âgé ou handicapé. Avec ça, on peut tout mettre dans aider. La définition, elle est super large. C'est pour ça qu'il y a plein de gens qui se demandent s'ils en font assez pour être aidant, s'ils se disent, par exemple, peut-être que c'est sur les soins palliatifs, sur la fin de vie, peut-être qu'il faut aider 50 heures par semaine pour être considéré comme aidant. Il y en a plein qui me disent ce que je fais, c'est normal. C'est juste, c'est banal. C'est le quotidien. Ça ne veut pas dire que je suis aidant. Donc, ils viennent un peu demander la permission de se reconnaître comme tel. Alors que dans les 11, 15, 20 millions de cas d'aidant, c'est que des cas particuliers. En fait, chacun est aidant à sa manière. Pour moi, c'est plutôt une casquette supplémentaire. Tu es déjà le proche et par-dessus, tu as des tâches que tu réalises qui ne sont pas celles d'un proche normal. Faire la toilette de quelqu'un, par exemple, lui donner sa douche, trier ses médicaments, lui donner ses traitements, l'accompagner partout chez le médecin, gérer les dossiers. que ce soit pour la maison départementale des personnes handicapées, la CAF ou autre, ça c'est plus que juste le proche. Le rôle d'aidant, il est là. Mais c'est vrai que beaucoup de gens n'osent pas se reconnaître comme aidant, ou alors se disent peut-être qu'il faut que je remplisse un papier, parce qu'on fait tellement de dossiers chez nous, peut-être qu'il y a un truc pour avoir des aides, pour demander quelque chose, mais non. Chez nous, il n'y a pas de déclaration d'aidance. On est aidant, on se reconnaît comme aidant. Donc de manière générale, il faut d'abord se reconnaître soi comme aidant. C'est la première pierre et c'est la plus importante.

Benjamin Suchar : Donc finalement, le premier combat, notamment auprès des entreprises, c'est de faire comprendre que ce terme d'aidant, ça touche absolument tout le monde et que c'est beaucoup plus large que ce qu'on pense, en fait.

Dr Hélène Rossinot : Le premier combat pour moi, c'est de faire changer le regard sur le terme aidant et sur les aidants de manière générale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, quand j'interviens dans des entreprises, souvent l'image que les gens ont de l'aidant, c'est le salarié qui a entre 55 et 65 ans, qui s'occupe de son parent vieillissant. qui cumulent et qui est sur la fin de carrière, pas du tout. Enfin, ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas dans cette catégorie-là, mais ça veut dire qu'il y a des aidants absolument partout, que ce soit dans les premiers emplois et les alternants, que ce soit même chez les mineurs qui viennent faire des stages, puisqu'il y a quand même un million de mineurs aidants en France.

Benjamin Suchar : Oui, tu me disais, tu en parlais à l'université, tu en parlais à des jeunes.

Dr Hélène Rossinot : Exactement. J'en parle autant à des jeunes qu'à des adultes. Il y a des aidants qui ont 95 ans comme des aidants qui ont 10 ans. Il y a de tout. Mais c'est surtout la moyenne d'âge de début de l'aidance dans l'entreprise, c'est 35 ans. C'est vachement jeune techniquement parce qu'on oublie que les enfants peuvent naître avec un handicap ou une maladie, que les conjoints peuvent avoir des maladies chroniques en particulier. On parle beaucoup du cancer, mais il y a toutes les maladies douloureuses, l'endométriose, l'espondylarthrite, la maladie de Crohn, la dépression, toutes les questions de santé mentale. Ça, ça touche tout le monde à n'importe quel âge. Donc, en fait, d'abord, il faut dépoussiérer le terme aidant et réaliser qu'on peut tous être touchés, que ces 15 à 20 millions de personnes, c'est à un instant T, mais qu'en vrai, ça bouge, ça évolue. Le nombre de maladies est en train d'exploser en ce moment. Il n'y a pas que le vieillissement de la population. Donc, d'abord, on enlève les préjugés sur le sujet. et on montre que tout le monde est concerné. À partir de là, on peut travailler.

Benjamin Suchar : Donc tout le monde est concerné, la Gen Z, la nouvelle génération aussi. D'ailleurs, on a un peu l'impression que dans cette nouvelle génération, ils sont peut-être un peu plus à l'aise à parler aussi de ce terme-là. C'est en plus une génération qui peut être, tu le disais, un peu une génération sandwich, qui peut se retrouver de temps en temps à la fois avoir un statut de parent et d'aidant.

Dr Hélène Rossinot : Donc les choses sont en train de changer. Alors la Gen Z, pour moi, effectivement, c'est celle qui fait le plus bouger les choses avec, je dirais, la partie jeune des millennials aussi, influencée par la Gen Z, très clairement, parce que eux, je trouve qu'ils voient beaucoup moins le tabou dans le fait de dire ce dont ils ont besoin. Et ça c'est assez rafraîchissant, et ce n'est pas d'ailleurs que sur le sujet des aidants, on les voit vis-à-vis du monde du travail oser dire, moi je fais tels et tels horaires, c'est ça dans mon contrat, pour ma santé mentale ça c'est important, et bien à côté je suis aidant, je m'occupe de maman, je m'occupe de mon frère, je m'occupe Et donc j'ai des droits, voilà mes droits, je vous en parle. Et il y a moins ce côté honte, ce côté tabou qu'on peut trouver chez des générations un peu plus âgées. Par contre, les sandwichs, c'est pas les Gen Z. Les sandwichs, c'est plutôt ceux qui ont 45 ans à peu près, plutôt des femmes. Et si je les appelle les sandwichs, c'est en référence, tu sais, au très bon sandwich triangle désert d'autoroute. qui ont tout un tas de tranches et plein de choses au milieu. Dès que t'essayes de mordre, t'en fiches absolument partout. Tu prends ton image de sandwich et tu rajoutes le travail, les enfants, parfois encore en bas âge, les parents âgés, le conjoint, parce que parfois, ça peut prendre de l'énergie mentale d'avoir un conjoint, le foyer, le travail. Et si tu rajoutes une couche supplémentaire, les danses, c'est un risque de faire déborder. C'est une génération, elle, qui parle pas beaucoup. et qui est très, très à risque d'épuisement.

Benjamin Suchar : Tu parles de tabou. Et finalement, quand on est aidant, ce que tu dis, c'est qu'on pense qu'on n'a pas le choix. Mais en vrai, on a le choix. D'ailleurs, il y a des gens qui font le choix de ne pas être aidant.

Dr Hélène Rossinot : Et donc, en fait, si tu transformes cette vision avec un vrai choix de l'aidant, dans ces cas-là, il y a finalement moins de honte. Ça devient plus légitime et ça devient finalement un sentiment de fierté et de reconnaissance que tu peux avoir en étant aidant, non ? Oui, alors il y a beaucoup d'aidants effectivement qui sont fiers à raison de ce qu'ils font. C'est vrai qu'en théorie, si tu as envie de te tirer à bout la planète pour pas être aidant, tu peux. Dans les faits, parfois, il suffit de divorcer ou de partir. Et ça se fait. Moi, là-dessus, je ne juge pas. Par contre, il y a aussi des situations où ce n'est pas si simple que ça parce que le système n'est plus très bon. Il se dégrade ces dernières années et il y a des situations où on est forcés dans les faits parce qu'on ne trouve pas de professionnels de santé ou de professionnels du médico-social, parce qu'il n'y a plus de place dans les établissements ou autre. On est forcé de tenir un rôle qu'on n'a pas forcément envie de tenir pour palier au manque du système. Donc je dirais qu'il y a une partie des aidants qui ne s'imaginaient pas de toute façon ne pas aider, ne pas être présents. Et ceux-là ne sont pas forcément les plus fiers non plus parce qu'ils voient souvent leur rôle comme normal ou comme leur devoir. Et on n'est pas forcément fiers de faire son devoir. Très honnêtement, moi, je pense qu'on devrait être fier de ce qu'on fait. Mais ça, c'est dans notre culture générale. On a du mal à être fier de nous. Pourtant, c'est important. Mais tu as aussi une partie des gens qui se sentent vraiment contraints de le faire. C'est d'autant plus vrai quand il y a un manque de reconnaissance. Ah oui, et la société est très, très, très mauvaise en reconnaissance sur le sujet des aidants. Chez nous, on est habitué, en France en particulier, à ce que les gens serrent les dents et ne se plaignent pas. On ne valorise absolument pas les gens qui disent la vérité, qui disent à quel point ça peut être difficile parfois d'assumer ce rôle-là. On valorise tout le temps les gens qui regardaient comme il est fort, c'est un guerrier, il se bat, il se plaint jamais. Je trouve ça ultra toxique comme culture, parce que c'est le meilleur moyen que les gens explosent, finissent en burnout complet, alors qu'on peut les accompagner. Parce qu'aujourd'hui, on voit la vulnérabilité et les demandes d'aide comme un échec ou une faiblesse, alors que pas du tout, c'est simplement être humain. Personne n'est parfait. Et très honnêtement, si on faisait évaluer et évoluer cette culture déjà là, ça enlèverait une grosse partie de la charge mentale des aidants.

Benjamin Suchar : Il faut accepter de dire ça ne va pas et il faut accepter de l'entendre aussi.

Dr Hélène Rossinot : Exactement.

Benjamin Suchar : J'aimerais aussi revenir sur un point. Il y a aussi la question du genre. Il y a 70% des Edens qui sont des Edentes, qui sont des femmes. Puis il y a un petit peu cette vision où un homme, ce serait un héros moderne et une femme, elle ferait simplement son devoir. Donc finalement, c'est assez patriarcal comme vision. Non Ah oui, c'est très clair. C'est très clair. ?

Dr Hélène Rossinot : Et c'est vrai que pour aller même un peu plus loin, quand tu regardes dans les pays du monde, ceux dans lesquels il n'y en a pas beaucoup, mais ceux dans lesquels le sujet des aidants n'est plus vraiment un sujet parce que ça a été tellement intégré que les aidants n'ont plus besoin de jouer ce rôle-là. Ils peuvent redevenir des proches, en particulier les pays scandinaves. Ce sont les pays les seuls à avoir mis en place une politique sociale basée sur l'éthique du caire et le féminisme autour du caire des années 70.

Benjamin Suchar : Donc les danses, c'est le non poli pour le travail gratuit des femmes.

Dr Hélène Rossinot : En partie, oui. Moi, je dis toujours qu'il y a 20 ans, on considérait que les femmes n'étaient pas capables d'avoir des enfants et de faire leur travail correctement. Maintenant qu'on s'est rendu compte que ce n'était pas le cas, on a trouvé autre chose à nous reprocher. On s'est rappelé qu'il y avait d'autres membres de la famille dont on pouvait s'occuper, qui pourraient peut-être signifier qu'on n'était toujours pas apte à travailler. C'est toujours aussi ridicule. Mais c'est clair que ces préjugés-là ont la vie dure. Après, ce n'est pas pour rendre négatif le fait que des hommes s'impliquent, parce que très honnêtement, il y a des hommes qui s'impliquent. Simplement, ils découvrent la majorité des problèmes que rencontrent les femmes. Certains sont effectivement vus plus en héros, mais d'autres découvrent simplement au quotidien les complications de ce que ça peut représenter que d'être sur le côté du soin habituellement plus féminin. Mais ça évolue quand même.

Benjamin Suchar : Et donc il y a beaucoup de femmes, puisqu'on en parle, qui vont quitter leur emploi pour pouvoir se consacrer, justement, à le fait de prendre soin de ses proches, d'être là. Et comment tu vois les choses ? Est-ce qu'il y a des solutions concrètes à apporter à ce phénomène ?

Dr Hélène Rossinot : Alors, je dirais qu'il y a deux profils. Il y a celles et ceux, parce qu'il y a aussi quelques hommes qui le font, qui veulent arrêter leur travail parce qu'elles considèrent que le plus important, c'est de s'occuper du proche. Mais pour moi, le drame, il est sur celles et ceux qui n'ont pas envie d'arrêter de travailler, qui n'ont pas d'autre choix parce que l'équilibre est trop précaire, parce que leurs entreprises ne les soutiennent pas et que donc, ils n'arrivent plus à jongler correctement.

Benjamin Suchar : D'ailleurs, pour que les entreprises les soutiennent, ce que tu dis, c'est qu'il faut comprendre le caractère individuel de chaque situation. Ce n'est pas la même chose quand on aide un parent atteint d'Alzheimer que quand on a un enfant autiste, que quand on a un conjoint qui est dans une maladie longue. Comment l'entreprise, de manière concrète, peut aller à ce niveau d'individualisation ?

Dr Hélène Rossinot : Je vais même aller plus loin. Entre deux personnes qui aident un parent qui a Alzheimer, c'est déjà même pas la même chose. C'est pire. Je sais que quand je dis ça, je suis le cauchemar de tous les RH qui nous écoutent. Et je comprends très bien que vous soyez en train de râler en entendant ça. J'ai conscience que c'est extrêmement compliqué pour les entreprises de faire du cas particulier. Le souci, c'est qu'il n'y a pas deux solutions qui vont convenir forcément à deux cas qui se ressemblent. Il y a même certaines solutions qui peuvent être positives pour l'un et très négatives pour l'autre. C'est le cas du télétravail. Il y a certains cas dans lesquels ça va soulager les dents et d'autres dans lesquels ça risque de l'envoyer plus vite en burnout.

Benjamin Suchar : Comment tu fais alors ?

Dr Hélène Rossinot : Eh bien, tu formes. Tu formes le codire. Et oui, on commence toujours par la direction parce que, en fait, ce qu'il faut, c'est faire changer la culture de ton entreprise. Il faut que les aidants, d'abord, parlent et se sentent assez à l'aise pour expliquer quels sont les obstacles et les challenges qu'ils rencontrent pour qu'on puisse leur trouver une solution. Mais pour ça, il faut que le mouvement vienne de la direction, parce que les managers, sinon, ils flippent et les RH aussi, d'aller trop loin, d'ouvrir la boîte de Pandore et de se faire punir derrière s'ils ont vraiment accompagné au cas par cas. Donc, d'abord, En un, la direction. En deux, les RH. Même chose. Pour pouvoir créer un plan aidant de manière globale, pour pouvoir mettre en place des mesures, il faut quand même maîtriser le sujet des aidants, c'est important. En troisième, les managers. Parce que, et c'est l'interlocuteur le plus important des aidants, ce sont eux qui vont avoir affaire aux aidants au quotidien, qui vont les repérer, qui vont recevoir le témoignage, qui vont avoir littéralement les aidants dans leur bureau, Et dans la majorité des cas, les aidants ne vont pas demander d'aménagement, de changement de contrat, en tout cas pas des grosses modifications. C'est très souvent plutôt de la bienveillance, de la tolérance, parfois sur des retards, parfois un aménagement autour d'un rendez-vous hebdomadaire, par exemple chez le kiné, chez le médecin ou quelque chose comme ça, plutôt qu'une baisse de temps de travail ou des choses qui nécessiteraient très d'aller chez les RH pour modifier le contrat de travail. Mais pour ça, il faut que le manager, il sache gérer les choses. Parce qu'on en discutait, c'est pas si simple que ça quand tu es face à un de tes collaborateurs, que d'un coup, ils font l'arme en te racontant ce qu'ils vivent à la maison. Peut-être que tu connais la pathologie, peut-être pas. Mais c'est la vie privée du collaborateur. Qu'est-ce que tu as le droit de dire ? De ne pas dire quel ton il faut avoir ? Comment est-ce que tu lui poses des questions ? Est-ce que tu as le droit de lui poser des questions ? Comment tu mets en place un plan ? C'est plein de questions que les managers me posent quasi non-stop. Parce qu'il y en a plein qui connaissent le sujet maintenant, mais qui ne savent pas quoi en faire de manière concrète. Donc avant même d'aller voir tous les salariés, il faut que le CODIR, les RH et les managers soient au point.

Benjamin Suchar : C'est intéressant parce que pour sensibiliser sur ces éléments-là, tu parles d'aller auprès de la direction, auprès des ressources humaines, auprès des managers, mais il faut des rôles modèles, un peu comme dans n'importe quel autre élément et industrie. Moi, je n'en connais pas beaucoup des patrons du CAC 40 ou des CEOs de startups qui ont dit « je suis aidant ». Est-ce que ça ne peut pas faire changer les choses, ça ?

Dr Hélène Rossinot : Moi, j'en connais. Et ce qu'ils parlent, là, c'est ? Il parle. Je me souviens d'une conférence en particulier où il y avait une DGA qui était remarquable, qui est devenue DGA depuis, qui m'a dit je viens de réaliser que j'étais aidante en vous écoutant. Et derrière, quand elle est devenue DGA, elle a lancé un plan dans sa nouvelle entreprise après pour soutenir tous ses salariés aidants. Et du coup, elle en a parlé et elle s'est basée sur son expérience. Donc, il y en a à tous les niveaux, de toute façon, même statistiquement. vu le nombre d'aidants et de personnes qui sont concernées. Mais c'est très difficile d'être dirigeant et d'oser dire que chez nous aussi c'est compliqué et que on est comme tout le monde, parce qu'il y en a encore beaucoup trop qui voient ça encore une fois comme un aveu de faiblesse, comme un aveu de vulnérabilité, alors que pas du tout, et que ça fait un bien fou aux salariés d'entendre que quelqu'un dans les comités directeurs ou autres est touché aussi. Ça donne une sorte de permission de parler.

Benjamin Suchar : Mais tu vois, moi, j'ai parlé avec pas mal d'autres CEOs qui disent la parentalité, ça m'a changé. Et d'ailleurs, ça m'a apporté énormément de choses dans mon quotidien. Ça m'a permis de revoir où étaient mes priorités. Mais en fait, moi, ça me ferait du bien d'entendre aussi des CEOs, parce que tu expliques le nombre de compétences qu'on va développer en tant qu'aidant, qui puissent aussi venir témoigner pour expliquer leurs difficultés, mais aussi expliquer ce que ça a pu leur apporter et comment ils y sont arrivés. Et ça, finalement, on n'attend que ça, quoi.

Dr Hélène Rossinot : Mais je suis tout à fait d'accord, ça ferait un bien fou. Et pourquoi deux poids, deux mesures entre cette parentalité et les danses aujourd'hui ? Je pense que beaucoup de personnes voient la parentalité comme quelque chose de positif, alors que l'aidance a un rapport à la maladie, au vulnérable, à la mort, parfois, qui est parfois plus difficile à accepter. Et même sur le lien avec le corps humain, on fait des choses quand on est aidant qu'on n'a pas forcément envie de partager de la même manière.

Benjamin Suchar : Dire qu'on change les couches de son enfant, ça paraît une évidence. Dire qu'on change les couches de son parent, beaucoup moins.

Dr Hélène Rossinot : Alors que les solutions, la flexibilité, l'écoute, elles sont assez similaires en fait. Alors oui, oui et non, disons que c'est un peu plus compliqué dans les danses que dans la parentalité. De toute façon, l'écoute, j'ai envie de dire, partout, partout, peu importe le sujet. Apprendre à écouter, c'est extrêmement important. La flexibilité, ça ne ferait pas de mal non plus. Je sais que ce n'est pas, selon les industries, pas toujours simple à mettre en place. Mais c'est vrai que sur la question des horaires, elle est assez en commun. Ce qui diffère avec les danses, c'est tout ce qui est nombre de rendez-vous médicaux, charge mentale, gestion des urgences complètes. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'urgence quand on est parent. Je dis juste que quand on voit des maladies qui ne font que s'aggraver, Alzheimer par exemple, à partir du moment où il y a un diagnostic, on sait que ça va aller jusqu'au bout et que ça ne va aller qu'en s'aggravant.

Benjamin Suchar : Alors tu parles du rôle des managers, tu dis à quel point ils sont importants. Ces managers, on leur demande d'être performants, on leur demande de gérer la charge émotionnelle, on leur demande d'écouter. Bientôt, il n'y aura plus de managers, non ?

Dr Hélène Rossinot : Disons qu'en plus, en France, on a tendance à nommer manager des gens qui ne sont pas forcément faits pour être manager, parce que c'est dans notre culture de promouvoir des gens managers, alors que pour moi, ne devraient être managers que les gens qui savent être managers. Ça, c'est peut-être un autre problème, mais sur le sujet des aidants, ça revient beaucoup parce qu'il faut, pour moi, certaines qualités pour être manager. Et c'est vrai qu'on a des personnes qui sont très prises au dépourvu quand elles sont face à des questions de vie privée qui n'ont pas forcément l'aisance humaine nécessaire. Ça ne veut pas dire qu'ils ne sont pas des bonnes personnes. Ça veut juste dire que certaines personnalités sont plus à l'aise que d'autres sur les relations humaines. Voilà, c'est ça. Et donc, il y en a qui ont un peu de mal à suivre. Mais après, moi, je trouve que On en a mis du temps pour reconnaître qu'on était tous des humains et pas juste des machines. Pour moi, c'est la base qu'on forme à l'écoute, qu'on forme au sujet des aidants. Mais après, je dis ça, je suis médecin et en fac de médecine, dans le tronc commun, on ne parle toujours pas des aidants et on n'est toujours pas formés à l'écoute.

Benjamin Suchar : D'ailleurs, le rôle de la formation est important, mais même de l'éducation en tant qu'aidant, en fait, ce n'est pas pareil. Si on a eu une éducation où on a mis la valeur cardinale, qui est le travail, en avant ou la famille en avant, il y a des vraies différences. C'est ce que tu dis.

Dr Hélène Rossinot : Oui, ça, j'explique ça dans mon bouquin. Chez les aidants, dans les personnalités et selon l'éducation, on peut se sentir souvent très coupable de jamais en faire assez. D'ailleurs, c'est souvent un cercle vicieux. Mais il y a aussi des gens qui sont plus dans la honte et ça, c'est beaucoup plus difficile à accompagner. Pour donner l'exemple, quand on a quelqu'un qui a été élevé dans une famille dans laquelle la valeur numéro un, c'était la famille, priorité numéro un, la famille. et qu'on prend une autre personne qui a été élevée, elle, dans une famille dans laquelle, certes, la famille était importante, mais culture numéro un, c'était le travail. Vraiment, objectif, il faut réussir dans la vie. Si ces deux personnes, souvent deux femmes, sont face à la même situation, qui est la réunion finit beaucoup, beaucoup trop tard, en fin d'après-midi, et donc je n'ai pas le temps de passer voir papa chez lui, la personne qui a été élevée dans la culture du travail, vraiment, va se sentir un peu coupable, parce que bon, c'est jamais sympa de planter son père pour une réunion, mais elle y retournera le lendemain ou le surlendemain, elle ne va pas se pourrir la vie pendant des lustres parce qu'elle l'a raté, parce que dans sa tête, sa valeur numéro un, c'était le travail. Tandis que la personne qui avait la famille en numéro un, elle, elle va se sentir très honteuse. La différence, c'est que quand on culpabilise d'avoir fait quelque chose de mal, on se sent honteux d'être une mauvaise fille. Ça ne pourra pas changer. Non, mais par contre ça, ça se travaille, ça se travaille en thérapie. Ce n'est pas à l'entreprise de gérer ça. Mais ce qui est important, c'est de comprendre les mécanismes, parce que si tu as un collaborateur qui est très honteux là-dessus, il va se pourrir la vie pendant des semaines. Il va finir par en être malade. Donc, il faut au minimum comprendre comment ça peut fonctionner. C'est la base des relations humaines. C'est de la psychologie.

Benjamin Suchar : On parle du rôle de l'entreprise, beaucoup. L'entreprise, la direction. Mais est-ce que les salariés, ensemble, aussi, ils n'ont pas un rôle à jouer ? Je te donne une idée ici. Il y a aujourd'hui des comités d'entreprise, les CSE, qui aujourd'hui peuvent financer par exemple des chèques cadeaux pour l'ensemble de leurs collaborateurs à Noël. Est-ce qu'ils n'ont pas un rôle aussi pour aller allouer un budget pour les salariés qui en ont le plus besoin, par exemple les aidants ? Est-ce qu'il ne peut pas y avoir aussi des initiatives comme les dons de congés entre collègues ? Est-ce que cette responsabilisation, à force de dire l'entreprise, la direction, elle ne peut pas aussi finalement venir du cœur de l'entreprise ?

Dr Hélène Rossinot : Alors oui et non. C'est un poil plus compliqué que ça parce que dans l'ordre, pour moi, le changement principal à mettre en place, c'est d'abord le changement de culture. Mais il passe, tu as raison, pas que par les managers, les RH et la direction, il passe par tous les salariés. Le truc, c'est que pour ça, il faut qu'ils soient sensibilisés et qu'ils maîtrisent leur sujet parce que tu ne peux pas changer de regard sur un sujet que tu ne connais pas, dont tu ignores parfois même l'existence. Une fois que globalement, la sensibilisation de tous les salariés a été faite. Alors oui, là, c'est le moment de passer aux mesures. Alors, les dons de congés, j'en ai toujours un petit bémol parce que ça dépend comment c'est fait, parce que malheureusement, on a tendance en tant qu'humain à faire une hiérarchie des tragédies. Il y a des situations qui vont paraître plus tragiques que d'autres et pour lesquelles tout le monde va vouloir donner et des situations qui vont paraître plus banales et qui sont pour autant pas moins nécessaires, qui ont pas moins besoin d'aide et pour lesquelles il n'y aura personne. Donc, si c'est fait de manière anonyme, Oui. D'accord. Si c'est des cagnottes pour lesquelles une personne va avoir 150 jours et l'autre 2, non.

Benjamin Suchar : Je comprends.

Dr Hélène Rossinot : Et après, je préfère quand l'entreprise participe quand même un tout petit peu parce que les jours de congé, là je parle en tant que médecin, je reprends ma casquette, ils sont quand même pas là pour rien non plus.

Benjamin Suchar : Donc t'es pas là pour vider tous tes jours de congé. L'entreprise pourrait abonder en plus.

Dr Hélène Rossinot : Exactement. Exactement. Trouver un équilibre, oui. Le CSE, tu avais tout à fait raison. Toutes les mesures après qui existent sont bonnes à prendre. Là où je mets un bémol, c'est sur la question des accords cadres.

Benjamin Suchar : Oui.

Dr Hélène Rossinot : Parce que ça part d'une très bonne intention. Le problème, c'est que quand tu as tendance à faire un accord cadre pour tout le monde, ça empêche de gérer les cas particuliers. Et parfois, c'est utilisé comme argument pour ne pas aller plus loin. Donc, si tu prends ton accord cadre et que tu dis que c'est le minimum pour tout le monde, alors là, oui. Mais si tu prends l'accord cadre pour dire qu'on n'en sort pas, voilà ce qui a été négocié, on ne va pas plus loin, alors c'est un piège, l'accord cadre.

Benjamin Suchar : Intéressant.

Dr Hélène Rossinot : Voilà. Et je comprends pourquoi on fait ça, parce qu'on veut gagner des droits, etc. Mais parfois, il vaut mieux y aller de manière un tout petit peu plus détaillée, on va dire. dans la négociation plutôt que de dire voilà on lance trois mesures dans un accord cadre aidant handicap parce que souvent les deux vont ensemble même si je prêche pour qu'on les sépare mais et c'est souvent le télétravail et la flexibilité ou alors des congés ou des choses comme ça et du coup on oublie absolument toutes les autres mesures parce qu'elles n'étaient pas dans la négo Et alors.

Benjamin Suchar : Une des manières de sensibiliser les entreprises, c'est de leur expliquer que ça leur coûte beaucoup d'argent si elles ne prennent pas à cœur cette thématique. Il y a une étude qui montre que le coût de non prise en charge d'un aidant, c'est 1500 euros par an par salarié. Du coup, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les Comex, ils ne savent pas sortir leur calculette ?

Dr Hélène Rossinot : Déjà, ça veut dire qu'ils ne connaissent pas ce chiffre. C'est la question qu'on me demande à chaque fois quasiment que j'arrive en Caudière. On me dit du coup, c'est quoi le ROI d'aider les aidants ? Au début, la question m'énervait un tout petit peu. Puis après, je me suis rendu compte que c'était logique, on est obligé. Ça me fait juste changer l'ordre de mes présentations. Je ne commence plus par l'humain ni par la santé. Je commence par l'écho, mais on m'écoute mieux après.

Benjamin Suchar : C'est vrai, ça attire l'attention.

Dr Hélène Rossinot : Oui, en fait, c'est surtout qu'ils ne se rendent pas compte de ce qu'il y a derrière. Parce que déjà, souvent, ils me demandent, mais il vient d'où votre chiffre? 1500 euros de quoi? Et donc là, il faut leur expliquer que c'est l'absentéisme, que c'est les baisses de temps de travail, voire les démissions, donc le turnover, donc le recrutement, que c'est la désorganisation des équipes de manière générale et les arrêts de travail longs. Parce que si le salarié, il n'arrive pas à jongler entre tout parce que l'entreprise ne lui permet pas de flexibilité et qu'il s'épuise et que donc, au lieu d'avoir Un congé prochain d'an ou deux semaines de congé, il finit six mois en arrêt de travail parce qu'il est complètement crevé. Eh bien, ça finit par coûter cher à l'entreprise. Et en plus, moi, on me dit toujours mais oui, avec vos histoires, c'est compliqué pour organiser les équipes. J'ai bien conscience. Ce n'est pas simple. Mais en même temps, est-ce qu'il vaut mieux réfléchir à des solutions pour vos salariés ou que le salarié ne soit pas là pendant six mois ou un an ? Il vaut mieux travailler avec quelqu'un et faire des petits aménagements plutôt que de le perdre pendant six mois ou un an. Parce que là, dans le genre des organisations des équipes, On est bon.

Benjamin Suchar : Donc il faut arrêter d'être 100% dans la théorie, c'est un sujet humain. On ne peut pas manager avec des sujets humains comme ça. Et on en parlait tout à l'heure, en fait, être aidant, ça permet de développer des soft skills et hard skills, c'est très RH. Tu peux nous dire concrètement, c'est quoi les compétences, justement, que tu développes en. Tant qu'aidant

Dr Hélène Rossinot : En fait, il y en a plein. Et c'est pour ça que je trouve que c'est important qu'on change de regard sur les aidants dans les entreprises, parce que d'habitude, en fait, on coupe. ? Normalement, on aurait pu s'arrêter juste avant. On a parlé de combien ça coûte, de désorganisation. On a listé tous les points qui peuvent être compliqués. On a fait flipper tout le monde et la majorité des gens s'arrêtent là. Et moi, je dis toujours non, non, non, non, non. C'est important parce que vous voulez toujours qu'on commence par ça. Donc, on commence par ça. Mais quand on est aidant, on apprend plein de choses qui sont transférables au monde du travail. Et c'est le seul sujet humain, je dirais, qui te tombe dessus et qui te permet d'apprendre autant. pour l'anecdote, parce que je pense que c'est quand même important. Et après, je réponds à ta question. Mais quand j'interviens en entreprise, en particulier en Codir, je demande toujours qui a divorcé ces dernières années. D'accord, ça fait toujours un blanc. Ils ont l'air de se dire qu'est ce qu'elle nous raconte encore? Puis, il y en a toujours un qui finit par lever la main parce que son collègue a regardé le travail. Allez hop, allez bref. Et en général, je lui dis Est ce que vous avez déjà eu peur de perdre votre travail parce que vous étiez en train de divorcer? Là, la réponse est toujours non. De perdre le dossier sur lequel vous étiez en train de travailler ? Non, toujours pas. Est-ce qu'on vous a regardé bizarrement parce que vous étiez en train de divorcer ? Sauf si vraiment vous avez fait n'importe quoi. Mais en général, la réponse est quand même non. Sauf que quand on divorce, à part apprendre ce qu'on ne veut plus refaire comme erreur dans sa vie perso, on ne peut pas dire qu'on développe masse de compétences. Et pourtant, ce n'est pas un moment où on est très en forme. C'est parfois un moment où on doit aller aussi à des rendez-vous extérieurs. S'il y a une bagarre pour la garde des enfants, on peut être quand même particulièrement déconcentré et pas au mieux de sa forme. Mais curieusement, tout le monde compatit. Alors que quand on aide son père, sa mère, son enfant, etc., la grande majorité des gens ne compatissent pas. Pourquoi ? Parce qu'on s'est tous fait larguer au moins une fois alors qu'on n'a pas encore tous été aidant. Et que donc, c'est plus facile de comprendre quelqu'un qui a le cœur brisé ou qui se bat pour la garde de ses enfants que de comprendre quelqu'un qui aide sa mère qui a Alzheimer si votre mère avoue qu'elle va très bien. Et du coup, Les aidants, ils développent plein de choses. Si ta mère a Alzheimer, tu vas finir par embaucher des auxiliaires de vie. Ces auxiliaires de vie, il va falloir gérer non seulement l'entretien d'embauche, les entretiens d'embauche, mais les emplois du temps, la paye, les congés, la transmission des informations. Gros surlignage de transmission d'informations, c'est extrêmement important. Entre elles et les autres professionnels de santé, rien que ça déjà, Tu sais, globalement, gérer une équipe parce que tu tiens ça quelques mois et tu es plutôt bon là-dessus. Après, tu as... Mettons que tu es un enfant. Allez, enfant polyhandicapé cette fois-ci. Tu sens qu'il y a quelque chose qui ne va pas parce que toi, tu es habitué. Tu l'emmènes aux urgences, mais les médecins ne sont pas formés au polyhandicap. Déjà, sur le handicap, on est mal formé, mais sur le polyhandicap, on n'est pas du tout formé. Donc, ils ne voient pas ce qui ne va pas. Ils te disent, il a l'air d'aller bien. Non, non, il n'est pas comme d'habitude. Les heures de négociation avec les infirmiers, les médecins, etc. pour avoir ne serait-ce qu'un examen, une prise de sang ou quoi que ce soit, ça va t'apprendre le lobbying en plus de la négociation. C'est tout bête. La confiance en toi que tu vas développer au fur et à mesure pour t'opposer aux médecins des urgences ou aux infirmières, etc. et pour te battre pour le proche, elle ne repart pas après quand tu as quitté l'hôpital. Elle reste. Tu apprends l'écoute quand ton proche tombe malade, par exemple. Tu n'as pas le choix. C'est fantastique. C'est une formation accélérée pour être manager.

Benjamin Suchar : Exactement.

Dr Hélène Rossinot : C'est pour ça qu'il y a beaucoup d'aidants qui sont managers aussi. Je dis toujours qu'un aidant, c'est un profil de manager et donc on trouve beaucoup d'aidants parmi les managers. C'est pour ça que je ne dis pas aux entreprises qu'il faut immédiatement, pendant qu'ils sont aidants en plein milieu d'une crise, leur filer cinq dossiers en plus en disant voilà. Et ils ne partent pas en formation d'un coup. Mais ça n'empêche que. Quand le moment d'urgence et d'adaptation du début sera passé, ces compétences-là, elles pourront être utilisées sur des dossiers. Elles seront très utiles de manière générale sur la vie professionnelle.

Benjamin Suchar : Il y a même des entreprises aujourd'hui qui commencent à inclure ça dans les entretiens annuels, par exemple, pour évaluer les montées, les montées en grade et autres. Et c'est vachement important.

Dr Hélène Rossinot : Et j'en parle dans Ma famille, Mon job et moi, qui est mon livre qui est sur les salariés aidants. Il y a des aidants qui commencent à le mettre dans les CV. Et j'ai des modèles de CV à l'intérieur pour leur apprendre à le faire en fonction d'à quel point ils sont à l'aise ou pas pour en parler. Mais c'est pour ça qu'il faut que les recruteurs soient prêts aussi, parce qu'à partir du moment où la honte et la culpabilité sautent, les gens, comme la Gen Z, vont commencer à revendiquer le fait d'être aidant avec les compétences qu'ils vont avoir et vont être capables de l'expliquer en entretien. Et donc, il va falloir que les recruteurs et les futurs managers et autres sachent ce que ça signifie, sachent le comprendre, sachent l'intégrer, sachent en profiter.

Benjamin Suchar : Comment tu transformes ce qui pouvait être perçu comme une faiblesse en une véritable opportunité. C'est hyper intéressant. C'est du travail d'aidant.

Dr Hélène Rossinot : On est très bons pour ça. On est très créatifs. Bravo.

Benjamin Suchar : Alors je te propose de changer de rythme. On va ensemble te proposer une série d'idées plus ou moins crédibles que certaines entreprises pourraient avoir pour aider les aidants. Tu dois me dire si c'est mesquin, malin ou les deux. Alors, première idée, obliger les entreprises à recenser leurs aidants, un petit peu comme leurs salariés handicapés avec le RQTH, la reconnaissance de handicap, avec des seuils minimums afin de pouvoir être représentatifs de la société sous peine d'amende. Mesquins, malins ou les deux ?

Dr Hélène Rossinot : C'est pire que mesquins ça. C'est pire qu'un mesquin parce que ça n'a en plus pas de sens du tout, étant donné qu'une grande partie des aidants ne réalisent pas qu'elle est aidant.

Benjamin Suchar : Oui mais regarde, en handicap c'est la même chose, ça permet de leur faire prendre conscience qu'ils peuvent être porteurs d'un handicap sans être en fauteuil roulant d'un certain côté.

Dr Hélène Rossinot : Mais la différence, c'est que quand tu es malade, pour le coup, étant malade aussi, j'ai une spondylarthrite ankylosante, donc je fais partie de cette catégorie-là. On sait qu'on est malade. D'accord. La question, elle se pose sur est-ce qu'on veut en parler ou pas ? Mais il y a une grande partie des aidants qui ne sait pas qu'elle est aidante. Moi, je suis aidante aussi. J'ai un petit frère qui est autiste. Il m'a fallu des années après avoir commencé à travailler sur le sujet des aidants pour réaliser que je n'étais pas juste une grande soeur protectrice, mais qu'en fait, j'avais été aidante et jeune aidante de mon petit frère. parce que c'est une prise de conscience à avoir et que c'est un cheminement assez personnel. C'est un cheminement personnel, l'entreprise, là, c'est un peu trop dur. Voilà, on ne peut pas leur demander ça. Par contre, il faut trouver des moyens de valoriser les aidants qui y sont et de les protéger surtout. C'est plutôt dans ce sens-là, mais fausse bonne idée.

Benjamin Suchar : Fausse bonne idée, ok. Deuxième proposition, lancer une application Care Performance qui optimise l'agenda des aidants en leur proposant, via une intelligence artificielle, des créneaux parfaits pour gérer leurs urgences personnelles sans impacter les livrables de l'équipe. Masquin, malin, les deux.

Dr Hélène Rossinot : Je peux encore trouver une autre réponse ? Pas prioritaire. Pas bon, pas mauvais, mais disons que dans l'ordre, il y a d'autres choses à faire avant. Ce n'est pas une mauvaise idée en soi, mais en fait, le problème de toutes les solutions qui existent, c'est qu'il y a plein d'entreprises qui veulent commencer par les solutions et qui se disent qu'ils vont régler le problème en prenant un prestat n'importe lequel qui met en place une solution. Et le souci, c'est un problème pour les prestats aussi. Ils ne s'en rendent juste pas compte, ce n'est pas la bonne stratégie. C'est que comme la grande majorité des aidants ne réalisent pas qu'elle est aidante, ils ne réalisent pas qu'ils ont besoin du produit non plus, donc ils ne l'utilisent pas. Et donc l'entreprise a tendance à conclure que s'il n'y a pas d'utilisation ou très peu, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'aidants dans l'entreprise. Conclusion erronée. Et du coup, ils finissent par résilier l'abonnement avec le prestataire. Donc c'est négatif pour lui aussi. alors que dans la vraie vie, c'est juste qu'il n'y avait pas eu la partie de sensibilisation qui menait à l'usage. Donc, c'est négatif pour tout le monde, parce que si l'entreprise conclut ça, ils n'avanceront plus sur le sujet des aidants. Le prestat, il perd son contrat. Et donc, le bouche à oreille, ça finit par dire pourquoi ça résilie au bout d'un an, etc. à chaque fois. Donc, je ne suis pas contre toutes les startups et autres qui font ça, mais il faut d'abord la sensibilisation et ensuite les services.

Benjamin Suchar : Donc offrir un care manager, un assistant personnel à chacun des aidants... Pourquoi pas.

Dr Hélène Rossinot : Mais après le changement de culture de l'entreprise, après toute la partie sensibilisation, sinon ça ne sera pas utilisé. Et ce sera un gâchis d'argent en plus.

Benjamin Suchar : Dernière idée, créer un fonds de solidarité abondé par un micro-prélèvement sur le salaire de tous les employés pour financer des pauses longues, permettre aux aidants de se ressourcer, mesquins, malins ou les deux.

Dr Hélène Rossinot : Il faut qu'il y ait quand même beaucoup, beaucoup de salariés dans ton entreprise. Parce que si tu veux, vu le nombre d'aidants, si tu pars sur un quart des salariés qui sont aidants en même temps, si tu veux qu'ils aient plus que dix minutes de congé, il faut des très, très, très grosses entreprises. Je ne dis pas que c'est une mauvaise idée en soi, ça mériterait d'être creusé, mais spontanément, ça ne peut pas être la seule mesure. Et puis, pour moi, il ne peut pas y avoir que les salariés qui financent ce genre de mesures.

Benjamin Suchar : Qui d'autre ?

Dr Hélène Rossinot : L'entreprise aussi. Et l'État, ça serait bien qu'ils s'y mettent avec.

Benjamin Suchar : Alors justement, on va parler du cadre légal. Il y a un cadre aujourd'hui qui existe, mais tu le dis, il est plutôt symbolique plutôt que structurel. Il y a un congé proche et d'âme et qui est à peine rémunéré. Il y a des reconnaissances de handicap qui peuvent prendre plus d'un an. Il y a des aides qui arrivent des mois après. Est-ce qu'on est face à un vide juridique ou un désintérêt politique ?

Dr Hélène Rossinot : Les deux. Les deux. Alors pour le coup, c'est une catastrophe. Alors on va commencer par le congé proche et d'âme. Oui. Mon ami. Si son seul problème était d'être mal indemnisé, honnêtement, ça serait déjà bien, mais c'est pas que ça son seul problème. Son seul problème, c'est que c'est très, très difficile de pouvoir le prendre parce qu'aujourd'hui, le congé proches et dents, il est valable si tu es d'un parent âgé qui a déjà des aides en cours. Donc, ça ne peut pas être en cas d'urgence. Il faut déjà que tout soit installé. Donc, si ta mère se casse le col du fémur, par exemple, le temps que tu aies le congé proches et dents, elle est guérie. ou si tu es d'une personne en situation de handicap avec un taux d'invalidité de plus de 80 %. Et là, la grande majorité des gens ne sont pas du tout familiers avec ça. C'est très difficile d'avoir plus de 80 % de taux d'invalidité. Pour vous donner un exemple, le taux le plus haut de l'autisme, l'autisme le plus sévère, un enfant autiste qui ne parle absolument pas, qui est vraiment au maximum de l'autisme, c'est 79 %. Donc, 80 %, c'est extrêmement rare. Donc si vous aidez une personne handicapée avec un taux d'invalidité de moins de 80 %, vous n'avez pas le droit au congé proche aidant et vous remarquerez qu'il manque une dernière catégorie entière. Si vous aidez un proche malade, de toute façon, vous n'existez pas pour la loi. Donc vous êtes aidant pour moi, vous êtes aidant dans la théorie, pour la science, mais vous n'êtes pas aidant pour l'État. Donc pour l'IRH, c'est toujours extrêmement compliqué parce qu'elles ont des solutions pour un bout de leur salarié et pas pour tout le monde. Et ça, c'est aussi, je pense, un des freins de l'accompagnement des aidants en entreprise, c'est que c'est à l'entreprise dans ces cas-là de compenser, ou en tout cas de trouver comment l'expliquer, parce que si tu communiques, mais pas bien, sur le sujet, tu vas te retrouver avec des aidants qui disent « moi je suis aidant, je voudrais être aidé, qu'est-ce que vous avez à me proposer ? » Toute ma compassion, voilà, je suis désolée. Voilà, donc ça c'est problématique. C'est ce qui empêche d'ailleurs, du coup, la création d'un statut. Parce que si tu crées aujourd'hui un statut de l'aidant qui puisse être reconnu partout et qui aiderait les choses en entreprise, tu créerais un statut de tiers des aidants et pas des aidants de personnes malades. Donc voilà, ça, c'est pas possible. Donc, très clairement, non seulement il y a un trou juridique, mais il y a un désintérêt complet des politiques. Moi, ça m'atterre honnêtement.

Benjamin Suchar : Et tu milites, toi, pour un parcours de l'aidant.

Dr Hélène Rossinot : Oui. En fait, l'idée, c'est qu'en santé publique, on a ce qu'on appelle un parcours patient. C'est l'idée que pour un diagnostic donné, en fait, le patient soit toujours au bon endroit, au bon moment. Aujourd'hui, quand tu es aidant, le parcours du patient existe, mais il n'y a rien pour la famille autour. Sauf que la famille, elle se retrouve complètement larguée. Elle est mal informée, voire pas informée du tout. On ne lui parle que quand il y a un problème. Bonjour la confiance, parce que les soignants n'ont pas très envie de parler, parce que forcément, c'est toujours pour annoncer une mauvaise nouvelle. Et donc la famille, elle cherche à droite à gauche des informations comme elle peut. Et surtout, il n'y a pas de vrai accompagnement de l'aidant. Pour moi, on devrait le prendre en compte dès le début, lui expliquer comment ça va se passer, lui expliquer le mot aidant, les ressources, certes maigres, mais qui existent. auquel il peut avoir droit, lui proposer un soutien moral, lui proposer de l'éducation thérapeutique, l'inclure en parallèle du patient. Ça irait beaucoup mieux.

Benjamin Suchar : On a parlé tout à l'heure rapidement des exemples à l'étranger. Est-ce qu'il n'y a pas un problème d'organisation structurelle du travail en France ? notamment pour les aidants. Je t'explique. Moi, j'ai un copain qui vient de déménager au Danemark. Il habite Copenhague. Ce qu'il me dit, c'est que lui, il termine tous les jours à 17 heures et qu'en réalité, la culture est différente parce qu'en effet, il commence plus tôt, il termine beaucoup plus tôt, mais il a peu de pause déjeuner. Il n'a pas de machine à café. Il va être efficace sur un petit moment de temps qui est assez différent de la culture française. On aime bien plus prendre nos temps, mais on se retrouve avec des managers, des cadres qui terminent à 19h, à 19h30. Et ça, c'est pas compatible avec les aidants. Est-ce qu'il faut pas revoir la manière dont on s'organise en France

Dr Hélène Rossinot : Alors, je. Pense que ça pourrait être intéressant, mais pas directement pour le sujet des aidants. Parce que quand je prends l'exemple là, si tu veux aller à ton rendez-vous à la MDPH, elle est 17h, elle est fermée de toute manière. Donc, je pense qu'il vaudrait plutôt mieux réfléchir à l'intégration entre le monde du travail et les institutions autour. Moi, j'ai toujours trouvé ça complètement dingue. par exemple, que la grande majorité des endroits où on a besoin d'aide, etc., soit accessible sur des horaires ultra restreints.

Benjamin Suchar : Tout à fait.

Dr Hélène Rossinot : Pendant qu'on est au travail, littéralement. Il faudrait l'inverse. Oui, ça n'a aucun sens. Ça n'a aucun sens. Tout le monde dit qu'on veut un maximum de gens en emploi et on complique la tâche au maximum pour tous les gens qui essayent de gérer comme ils peuvent leur vie privée et leur vie professionnelle. Donc je pense qu'il y a une réflexion globale sur l'organisation à avoir, mais qu'à mon avis, l'innovation serait plus dans comment on intègre la ville et le travail, la vie privée et la vie professionnelle, mais en prenant en compte les territoires et les institutions et la manière dont l'État fonctionne.

Benjamin Suchar : OK. Alors, on a parlé des pays nordiques. Là-bas, le CARE, c'est considéré comme une infrastructure nationale. C'est au même titre que l'éducation, que la santé. Les dirigeants eux-mêmes, ils vont incarner cette culture. Alors, on a parlé du fait qu'ils partent à 17 heures sans s'excuser. Ils vont parler ouvertement de leur famille. Résultat, il y a moins d'absentéisme. Il y a plus d'engagement. Il y a une productivité parmi les plus fortes d'Europe. Pourquoi en France, s'occuper de ses proches reste encore vu comme un manque d'ambition ?

Dr Hélène Rossinot : Si je pouvais apporter une réponse directe, je pense qu'il y a plusieurs raisons. Très honnêtement, à mon avis, on peut revenir sur la question du féminisme un tout petit peu. Parce que chez nous, je trouve que c'est vu comme étant très féminin encore et qu'on a encore ces vieux préjugés de la performance. Ce n'est pas l'équilibre, la performance, c'est le présentéisme et c'est le mal, le mal blanc dominant. Et tout ce qui déroge de cette règle, pour moi, est encore perçue comme plus faible. Ce qui n'a strictement aucun sens. Mais bon, c'est à force de le répéter que ça finira par rentrer, je pense. Mais quand je vois la vision qu'on a globalement des femmes, à quel point c'est difficile d'avoir des femmes en politique, d'avoir des femmes CEO, des femmes dans les conseils d'administration, On fait ce qu'on peut, mais on est obligé de mettre des lois à chaque fois pour forcer le fait que des femmes y arrivent, parce que le plafond de verre chez nous est encore tellement épais qu'on a quand même beaucoup, beaucoup de mal à le briser. Donc, forcément, avec une telle culture encore patriarcale, l'aspect care famille globalement ne peut pas être perçu comme quelque chose de tellement banal qu'il n'y a même pas besoin d'en faire toute une politique.

Benjamin Suchar : Intéressant. Alors au Canada, on a intégré l'aidance dans la culture manageriale. Il y a des congés rémunérés, il y a la formation des managers, il y a un référent CARE dans les grandes entreprises. Je crois que c'est quelque chose que tu apprécies également beaucoup. Les dirigeants savent que c'est un investissement, un salarié soutenu, c'est un salarié fidèle. Pourquoi ce pragmatisme, il n'est pas possible chez nous ?

Dr Hélène Rossinot : Mais j'aimerais bien qu'il soit possible, je me bats pour. Et c'est vrai que nous, on a une obsession pour le rendement, le chiffre et la performance qui, en plus, n'a aucun sens. Je trouve une vision très court termiste parce que le Canada, ce n'est pas le seul pays qui fait ça. Le Royaume-Uni, qui est plus près de nous, ils ont une espèce d'association d'employeurs qui s'appelle Employers for Cares, qui est assez remarquable, qui fait des études sur toutes les entreprises. C'est des entreprises qui adhèrent. On n'a pas ça en France. qui adhèrent pour avoir accès à des bonnes pratiques, etc., qui contribuent à la recherche. Donc il y a des études économiques qui sont faites tout le temps par ce cercle. Et les études sont dithyrambiques. Les patrons, là-bas, montrent à quel point ça a eu un impact positif sur la performance, sur l'économie, sur la motivation des salariés. Tous les indicateurs sont ouverts.

Benjamin Suchar : Mais nous, à chaque fois, on nous dit, oui, mais ça coûte cher. Donc il faut nous envoyer, nous, CEO, en stage au Canada.

Dr Hélène Rossinot : Oui, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie, étonnamment toujours les pays anglophones.

Benjamin Suchar : Qui sont en avance.

Dr Hélène Rossinot : Oui, qui sont en avance.

Benjamin Suchar : Hélène, donc je te propose maintenant une autre séquence, la séquence Utopie ou Dystopie. Tu choisis une carte et tu la montres à la caméra. Utopie. Hélène, on est en 2035. L'aidance est intégrée à la culture d'entreprise. Chaque salarié a droit à un temps de répit, un soutien administratif, un manager formé. Les dirigeants incarnent eux-mêmes cette culture. Résultat, moins d'absentéisme, plus d'engagement. Si ce futur devenait réalité, qu'est-ce que ça changerait profondément pour nos entreprises ? Et qu'est-ce que ça changerait pour notre société ?

Dr Hélène Rossinot : Ça changerait énormément de choses. Je pense que ça aurait un impact sur le travail des femmes. Déjà, avec moins de soucis au niveau des retraites, moins de personnes qui sont forcées d'arrêter de travailler, peut-être moins de jugements en entreprise, plus de bienveillance. Et je pense que ça pourrait même se reporter sur la qualité des soins derrière. Parce que si les aidants vont mieux, tiennent le coup plus longtemps, c'est plus facile d'envisager des soins à domicile corrects, de l'hospitalisation à domicile, parce que ça veut dire qu'il y a un équilibre qui a été fait. Et surtout, si on en arrive sociétalement, là, au niveau des entreprises, ça veut dire que globalement, le sujet des aidants est rentré dans la norme au niveau de l'État, au niveau des discussions dans la vie de tous les jours. Donc, il y a une vraie prise en charge des aidants dans le système de santé. que donc je suppose que les aides de l'État seraient maintenant existantes et coordonnées correctement. Et ça voudrait dire qu'on a fait des progrès au niveau du féminisme si tout le monde accepte d'en parler. Moi ça me va bien comme futur.

Benjamin Suchar : Dans une démarche prospective, l'IA, l'intelligence artificielle, est-ce que ça peut aider ? De deux manières. D'une part, pour s'y retrouver et individualiser les parcours, grâce à l'IA, on peut donner des réponses plus... personnelles, mais d'une manière générale aussi, d'une manière sociétale, pouvoir libérer du temps pour les personnes et donc se concentrer aussi de manière plus importante vers ce qui est humain également. Ou est-ce que l'IA, ça peut aussi faire peur ? C'est quoi ton avis sur le sujet ?

Dr Hélène Rossinot : Alors, moi l'IA ne me fait pas peur du tout et certainement pas dans ce domaine-là. Le seul souci, c'est que dans l'ordre, on a encore des problèmes très humains sur le sujet des aidants. On pourrait mettre de l'IA sur la coordination par exemple entre la ville et l'hôpital pour essayer d'alléger la tâche des aidants, mais on n'a pas le personnel pour faire cette coordination correctement. On pourrait imaginer de l'IA pour suppléer les aidants sur certaines tâches, mais tant qu'on n'a pas assez de professionnels du médico-social, d'auxiliaires de vie pour venir à domicile, etc., ce n'est pas une IA qui va faire le ménage, ce n'est pas une IA qui va surveiller la personne âgée. Et même si, j'ai envie de dire, une IA dans une caméra faisait la surveillance de la personne âgée, il faut quand même des secours pour venir, il faut quand même des personnes pour intervenir. Et on est arrivé à un point où le système craque assez pour qu'il n'y ait vraiment plus assez de monde. L'IA pour orienter aussi, par exemple, sur les aides, c'est très bien, mais s'il n'y a pas d'aide qui existe... On ne va pas gagner un temps fou. On critique beaucoup les MDPH, les Maisons départementales des personnes handicapées, pour les délais de réponse au dossier. C'est clair que quand tu fais une demande et que tu en as pour un an ou un an et demi avant d'avoir une réponse, c'est hallucinant. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont faits néant, c'est parce qu'il n'y a pas assez de monde et qu'il y a trop de dossiers. Donc peut-être que l'IA pourrait les suppler ou les aider, mais ça ne pourra pas les remplacer. Donc tant qu'on n'aura pas plus de gens pour travailler, l'IA ne va pas révolutionner les choses.

Benjamin Suchar : Pour conclure, tu dis souvent, Hélène, mettre l'humain au centre, ce n'est pas être gentil, c'est être lucide. Ignorer les danses, c'est finalement payer en cash, en talent et en réputation.

Dr Hélène Rossinot : C'est même plus qu'être lucide, c'est être intelligent.

Benjamin Suchar : Merci beaucoup Hélène.

Dr Hélène Rossinot : Avec plaisir.

Benjamin Suchar : Merci à vous d'avoir regardé ou écouté cet épisode. Vous pouvez retrouver Beyond Work & Life sur YouTube et toutes les plateformes de streaming. N'hésitez pas à partager l'épisode, à nous laisser vos commentaires et à vous y abonner pour nous soutenir et ne pas manquer les prochains débats. À très vite !