Transcription complète : L'Humain, l'IA et le Travail en 2035 (Matthieu Fouquet, onepoint)
Thèmes abordés (Extraits) :Le premier indicateur d'une équipe RH, c'est les bid'as. Est-ce que vraiment tu peux faire une entreprise avec que des entrepreneurs ? Pour être en proximité, tu ne peux pas avoir 60 strates. Les hommes issus des classes supérieures, ils vont en ressortir gagnants. Chez onepoint, tu n'as pas loin de 4000 profils atypiques. Le client des ressources humaines, ce sont les managers, c'est la direction d'une entreprise. Est-ce qu'il ne faut pas revoir la formation des ressources humaines ? Tu ne peux pas avoir une échelle avec 52 personnes, où tu as le chef du chef du chef du chef du sous-chef du chef. C'est comme dans un mariage, tu ne restes pas marié quand tu es contraint. La performance des entreprises s'est longtemps mesurée en chiffres. Marche, croissance, dividende. Mais le système craque de partout. Absentéisme record, quête de sens massive, managers désengagés. Une étude onepoint sur le travail en 2035 pose un parti pris clair. Repenser nos modèles d'organisation est le nouvel impératif du XXIe siècle. Car à l'heure de l'hyperdigitalisation et de l'IA omniprésente, la vraie valeur ne sera plus seulement technique, mais profondément humaine, relationnelle, critique, créative. Dès lors, la question n'est plus combien de métiers vont disparaître, mais comment réinventer l'entreprise pour qu'elle reste un espace de sens, de confiance et d'innovation, remettant l'humain au centre. Pour en débattre, Matthieu Fouquet, directeur général délégué et DRH de onepoint. Bienvenue dans Beyond Work & Life. Je suis Benjamin Suchar, cofondateur et directeur général de Worklife. C'est parti !
(Séquence d'extraits médias)
Benjamin Suchar : Bonjour Matthieu, merci d'avoir accepté mon invitation.
Matthieu Fouquet : Bonjour Benjamin, merci à toi.
Benjamin Suchar : Depuis 20 ans, onepoint accompagne les grandes transformations avec une philosophie qui est assez singulière, c'est penser l'entreprise autrement. Tu mets l'humain vraiment au cœur de la stratégie. Tu as un modèle qui est non pyramidal, une communauté d'expertise, et tu as un rôle qui est à la fois DRH et directeur général délégué adjoint. On en reparlera tout à l'heure. En préparant cet épisode, tu as eu cette formule qui était assez marquante. À l'heure de l'IA, il faut réincarner sa propre valeur. Autrement dit, repenser non seulement les métiers, mais la façon dont chacun incarne ce qu'il apporte à l'entreprise et à ses clients. Alors, Matthieu, j'aimerais démarrer cet épisode par une question un peu philosophique. Construire une entreprise qui ne cherche pas seulement à être rentable, mais à incarner une certaine idée de l'humain, d'avoir un impact, est-ce que ce n'est pas finalement repenser globalement notre société ?
Matthieu Fouquet : Effectivement, c'est un démarrage assez important. Si, mais tu dis en fait, dans ton introduction, tu dis construire une entreprise, David Laiany construit une entreprise qui n'a pas uniquement pour but la rentabilité, mais qui a pour but premier la rentabilité. Ce qui est important quand même à avoir, notamment chez OnePoint, qui est le reflet un petit peu des sociétés qui sont en train d'évoluer, c'est qu'une entreprise certes doit être rentable, c'est sans doute son alpha, mais son oméga c'est qu'elle doit apporter autre chose. une contribution à l'édifice de ce qu'est en train d'évoluer la société avec un grand S, un meilleur équilibre pour les individus, trouver sa place, sa juste place, c'est quelque chose d'assez important. On a souvent tendance à opposer les modèles en disant modèle qui va chercher une rentabilité et modèle qui va préserver les individus ou trouver du sens, souvent on dit un faire sens, qui est une expression avec laquelle j'ai un peu de mal. On ne peut pas opposer le sens et la rentabilité. Lorsqu'on est dans une entreprise, le monde d'une entreprise, tu le sais aussi bien que moi, c'est de pouvoir survivre et de pouvoir investir. Pour survivre et pour investir, il faut être rentable. Donc il n'y a pas de débat. Une entreprise doit être rentable. Mais ce n'est pas parce qu'on est rentable qu'on se prive de sens. Ce n'est pas parce qu'on est rentable qu'on n'a pas d'impact sur la société. C'est vraiment le mojo de onepoint. C'est on va chercher une rentabilité, on va chercher une croissance, on l'assume. Ce n'est pas un mot tabou. mais on pèse aussi sur les grands enjeux sociaux et sociétaux de notre monde, de notre continent et de notre pays.
Benjamin Suchar : Mais cet Oméga, justement, est-ce que finalement, il est réservé à un type d'entreprise ? Toi, tu viens, par exemple, du milieu automobile, donc à rien avoir avec onepoint. Est-ce que toutes les entreprises ont le luxe d'avoir un Oméga ou est-ce que c'est réservé à une certaine catégorie d'entreprise, à un certain type d'entreprise ?
Matthieu Fouquet : Je pense qu'on n'a pas le choix, en fait. on peut ne pas se poser la question. On peut raisonner comme au siècle dernier, mais les conditions ont changé, les générations ont changé, les libérations des individualités ont changé aussi, et une entreprise aujourd'hui, ou une organisation aujourd'hui, elle ne peut pas ne pas se poser ce type de questions. C'est peut-être plus facile de développer des modèles comme celui dont on va parler, je pense, tout à l'heure, dans un monde de conseil, dans un monde de tech, mais c'est pas pour autant que ça exclut les autres mondes, au contraire, parce que les gens qui travaillent dans la tech, les gens qui travaillent dans le conseil, sont les mêmes que ceux qui vont travailler dans l'industrie, qui vont travailler dans l'automobile, c'est les mêmes générations, ils sont soumis aux mêmes influences, aux mêmes connexions, et ils cherchent la même chose.
Benjamin Suchar : Justement, pour avoir cette oméga, comme tu le dis, il faut s'inscrire à travers des valeurs fortes. Moi, je discutais avec des amis entrepreneurs et on se disait, en fait, finalement, aller construire une culture d'entreprise bison-ours, ce n'est pas si compliqué. Mais derrière, c'est complexe en termes de performance au niveau de ton entreprise, parce qu'une culture bison-ours, c'est un peu permissif, c'est sympa, mais ce n'est pas très business driven. À l'inverse, construire une culture d'entreprise shark, en fait, ce n'est pas si compliqué non plus. Tu vas avoir beaucoup d'exigences, beaucoup de performances, mais tu peux broyer l'humain. Finalement, la complexité, c'est d'être justement sur cette ligne de crête et de pouvoir avoir à la fois de l'exigence et de la performance, mais aussi de l'humain dans une valeur humaine. Est-ce que c'est ça le secret et comment on fait ?
Matthieu Fouquet : Ni shark, ni bisounours, en fait, c'est Moi je ne me reconnais pas dans cette définition-là et je ne crois pas qu'il y ait cette summa divisio bisounours au charc. J'entends souvent on dit remettre l'humain au centre. Est-ce que c'est bisounours ? Bien sûr que c'est bisounours. Même la question de remettre l'humain au centre, je n'y crois pas en fait. Ce n'est pas l'humain au centre, c'est l'humain comme socle. C'est le socle responsable qui se prend en main. C'est l'humain comme étant la propre entreprise de soi-même. Et donc finalement, ça va avec des droits et des devoirs et dans les deux sens.
Benjamin Suchar : Là, en ce moment, tu es en train de travailler sur un pacte social. Tu peux nous en parler ?
Matthieu Fouquet : Oui. C'est l'étape évoluée des droits et des devoirs. Sans doute un petit peu plus respectueuse, un petit peu plus individualisée et qui permet une émancipation plus forte. dans des organisations qui ont l'alpha et l'oméga, qui vont chercher la productivité, mais aussi le sens, mais aussi l'impact, mais aussi le respect des collectifs comme des individus. On a deux options, soit on pose par des règles, on fait une intégration par la règle, et la règle elle polarise, soit on pose des points de repères. Les points de repères sont responsabilisants, la règle est aliénante. Les points de repères sont responsabilisants parce que tu te les appropries, tu les adaptes à ta propre situation. C'est que tu as un pari de confiance au départ. C'est nous ce qu'on a mis en place en créant ce pacte social. On a mis en place une organisation qui est relativement horizontale, on a mis en place une organisation qui est focalisée sur les expertises, on a mis en place une organisation qui permet l'autonomie forte, mais quand tu prends du volume, quand l'entreprise dépasse certains seuils, tant de chiffres d'affaires que d'effectifs, que d'équipes, il faut sans doute poser des points de repère pour que les équipes puissent travailler ensemble, pour que chacun puisse se reconnaître. Quant à une diversité des expertises fortes, une règle unique ne fonctionnera pas. C'est notre postulat de départ. Donc on a mis des points de repère qui expliquent très simplement ce que Chacune et chacun est en droit d'attendre de son employer, qui est OnePoint, qui est un employer of choice. Chacune et chacun a un droit d'attendre autour de son impact business, autour des attentes qu'on peut avoir le concernant sur sa production, autour du respect des singularités de chacune et de chacun, autour de son rapport au collectif et autour du développement de ses expertises. Ça, c'est la promesse de l'entreprise et elle nous est opposable. Mais tu as une contrepartie, puisqu'on est dans l'équilibre des échanges, c'est aussi c'est quoi être un employee of choice, c'est quoi être un membre de OnePoint. C'est aussi accepter que OnePoint puisse demander sur ces mêmes domaines, sur ces mêmes cinq axes, que tu respectes certains points de repère. Je vais prendre par exemple le respect des singularités. Dans une organisation comme onepoint, toutes les singularités sont acceptées. Il n'y a pas de question de genre, il n'y a pas de question d'orientation religieuse, d'obédience, de profil technique, de profil senior, de profil junior. Il n'y a pas tout ça. On est accepté a priori et a posteriori. Mais la contrepartie, c'est aussi que chacune et chacun respecte les collectifs en place et respecte les singularités des autres. Et ça, on l'a rappelé dans un document qui est fondateur. C'est presque comme un bloc de constitution. Quand tu es chez onepoint, tu es en droit d'attendre le respect de ces cinq dimensions te concernant, mais le collectif est aussi en droit d'attendre le respect de ces cinq dimensions concernant les autres.
Benjamin Suchar : Est-ce que tu vois une différence finalement dans les générations ? Parce que droit et devoir, on dit souvent que les nouvelles générations sont très offrés de leurs droits, peut-être un peu moins de leurs devoirs. Est-ce qu'il a fallu rappeler justement que cette relation va dans les deux sens dans l'entreprise et que c'est particulièrement lié aux nouvelles générations ? Ou est-ce que tu dirais que finalement, cette conception s'applique absolument à tout le monde dans l'entreprise ?
Matthieu Fouquet : Elle s'applique absolument à tout le monde et je ne tiens absolument pas à stigmatiser les nouvelles générations. Je pense qu'on dit plein de choses sur les nouvelles générations, on dit plein de choses sur la génération Z, on a dit plein de choses sur les millénials. Certaines choses vraies, on a déployé un modèle organisationnel qui correspond aux millénials. L'horizontalité, le fait d'être dans des collectifs, de pouvoir choisir ses collectifs, de pouvoir en sortir, le fait d'avoir une certaine autonomie, le fait d'avoir un accès au tout numérique semble être assez important. Il y a une autre génération qui arrive qu'une génération Z Elle a ses propres combats, on pourra revenir dessus, mais ce n'est pas parce qu'elle a ses propres combats qu'elle a besoin d'être encadrée ou d'avoir des points de repère spécifiques. ils sont nécessaires à toutes les générations. Aujourd'hui, dans une entreprise comme la nôtre, tu as quatre générations qui cohabitent. Il n'y en a pas une qui est plus difficile que l'autre. Par contre, ils n'ont pas les mêmes points de repère, ils n'ont pas les mêmes vécus, bien évidemment, pas forcément les mêmes projections, pas les mêmes attentes. C'est important de donner ces points de repère pour aussi pouvoir communiquer. On trouve le bon curseur avec ce pacte.
Benjamin Suchar : Finalement, ce que tu fais, c'est un pacte, une entreprise assez modulaire.
Matthieu Fouquet : Oui, oui. Et qui peut même être nucléaire au sens de se focaliser sur la personne. Tu as trois types de granularité dans notre entreprise. Tu as une granularité centrale, qu'est-ce qu'on appelle la communauté, qui réunit des gens qui ont des expertises communes. Donc tu as des expertises très technologiques, des expertises très process, des expertises très conseils, et les gens s'affilient en fonction de leurs appétences et de leurs expériences. Tu as une autre granularité qui est qui est l'ensemble du groupe. C'est-à-dire que le projet onepoint, l'addition de ces collectifs passe toujours en 1. Et puis tu as une troisième granularité qui est l'individu. C'est que le collectif, le méta-collectif qui est le groupe, les collectifs que sont les communautés ne sont jamais à l'encontre de ta granularité individuelle et nucléaire. Donc on respecte les trois dimensions. Et pour ça, il y a besoin d'avoir un petit peu de point de repère et c'était le but de ce pacte.
Benjamin Suchar : Et donc, tu as dit aussi, on fait mieux ce qu'on décide plutôt que ce qu'on nous impose. Ce pacte social, tu ne vas pas l'imposer. Comment tu l'as construit ? Est-ce que les salariés ont aussi eu finalement leur mot à dire pour pouvoir lui donner vie ?
Matthieu Fouquet : Pas tous. D'accord. Pas tous à ce stade, ils ont tous leur mot à dire, post-déploiement, parce qu'on le retravaille. C'est une version interactive en fait, on fait des saisons. Donc tu as le lancement, lancement qui a été co-construit par les différents acteurs de l'entreprise, mais on a réuni des représentations de toutes les expertises de toutes les communautés de l'entreprise. pour se dire ce sont quoi les dimensions dans lesquelles on peut avoir des problématiques d'alignement entre collègues. On a écrit ces principes avec d'un côté ce qu'on attend de l'entreprise, d'un côté ce qu'on attend de chacune et de chacun, et on les déploie. Et puis on va questionner les salariés quasi annuellement, voire peut-être un peu plus, pour leur dire est-ce que ce pacte répond à tes attentes ? Dit autrement, il y a deux questions. La première question, c'est est-ce que onepoint a respecté sa promesse vis-à-vis de toi ? Et dis-le. Oui, non, forcément non. Forcément non à certains, mais c'est OK, parce qu'on peut le changer. Mais réponds aussi à la deuxième question. Est-ce que toi, tu as respecté ton engagement vis-à-vis de l'entreprise sur ces cinq dimensions ? Et ce sera bien évidemment forcé, au moins oui, mais... Et ce forcément non, mais, et ce forcément oui, mais, en fait, il va créer la progression et l'adhésion de tout le monde.
Benjamin Suchar : Tu comprends. Hyper intéressant. Du coup, j'aimerais qu'on fasse un petit retour en arrière parce que rien ne te prédestinait finalement à être DRH de onepoint. Tu viens du monde automobile et tout repart un petit peu d'une rencontre, d'un coup de foudre amical, je crois que tu as dit ça. Tu peux justement nous raconter cette genèse ?
Matthieu Fouquet : C'est long, mais en très rapide. J'ai travaillé dix ans dans l'industrie automobile, de très belles années. J'ai appris énormément de choses dans de très, très belles entreprises. J'ai découvert des mondes sociaux très intéressants. J'ai vécu des années compliquées dans l'industrie automobile où tu avais beaucoup de restructurations que j'ai faites plutôt correctement. Et à la fin, ça devenait presque une expertise, donc ce n'était plus trop l'idée. et je souhaitais changer de secteur. Et là, un ami m'a dit qu'il faudrait que je rencontre un jeune entrepreneur assez incroyable qui s'appelle David Laiany. On s'est rencontré un vendredi après-midi, j'étais en plein dans une restructuration, mais j'avais pris une demi-journée pour le voir. C'était une rencontre, c'est-à-dire qu'il y avait une rencontre de mondes très différents à à peu près tous les points de vue, mais avec une notion de l'engagement, et une envie de dépasser un peu les limites. Et en ressortant, moi je me dis plusieurs choses, je me dis c'est un génie. Je me dis, ce sera un pote. Je ne comprends pas trop le métier et je ne suis pas sûr qu'il saura me payer un jour. Et je repars et je retourne faire finir un plan de restructuration. Et puis, à un moment donné, je pars de l'entreprise et je suis sur le point de rentrer dans une autre entreprise assez grosse. Et au moment où je vais signer mon contrat de travail, j'ai un coup de fil. C'est David Laiany qui m'appelle et qui me dit J'essaye de racheter une entreprise qui a quelques difficultés. À l'époque, on parle d'entreprises qui font 120 personnes. 130 personnes, elle fait la taille de onepoint. Il y a une situation sociale un peu complexe et il y a des syndicats. Moi, je découvre. Est-ce que tu veux bien m'accompagner ? Demain, je rencontre les représentants du personnel. Et donc je dis oui, je demande 48 heures à l'entreprise qui allait m'embaucher et je vais retrouver David dans les anciens bureaux de OnePoint et je vois avec l'offre de reprise qu'il va faire et je suis bluffé parce que je la trouve, toutes les situations étaient envisagées, il y a une vision business, il y a une vision managériale, il y a une envie, il y a une flamme. Le lendemain matin, on va rencontrer les représentants du personnel, certains sont encore avec nous aujourd'hui, 16 ou 17 ans après. On se présente et on présente le projet, et les représentants du personnel donnent un avis favorable pour le projet porté par David. Fort de ça, on va au tribunal de commerce et on se retrouve dans la salle des Pas Perdus, où il y a d'un côté onepoint, que David a monté, qui est un petit bijou et une entreprise qui est assez abîmée et qu'il faut faire meurger ces deux-là. Il me dit « j'aimerais bien t'embaucher » et puis j'ai dit oui. Et ça a commencé, ça fait bientôt 17 ans, j'ai l'impression que ça fait 48 heures, on sera 4000 en fin d'année. On a vécu et on vit des aventures assez incroyables. C'est effectivement un génie, mais qu'il est plus fort que les autres. Et c'est chouette de bosser avec quelqu'un qui est très fort. C'est pas un pote, c'est un ami. On a même une relation presque fraternelle. Il y a vraiment des liens qui sont très forts. J'ai à peu près compris le métier. et il s'est même payé, voilà.
Benjamin Suchar : Incroyable, c'est une histoire fantastique. D'ailleurs, cet engagement, ce côté entrepreneur, il n'est pas singulier seulement pour le fondateur, David, ni même pour toi qui l'as rejoint. C'est vraiment quelque chose que tu souhaites insuffler à l'ensemble des collaborateurs. Ça veut dire quoi, être entrepreneur en même temps qu'être salarié ? Et la question qui va avec, c'est est-ce que vraiment, tu peux faire une entreprise avec que des entrepreneurs ?
Matthieu Fouquet : Ça veut dire quoi être entrepreneur ? On peut avoir plein de définitions. L'entrepreneur, c'est quelqu'un, je pense que tu connais le sujet, qui est en obligation de résultats. Tout notre modèle, il est fondé. Notre modèle social, je parle de l'Occident, je parle de l'Europe, je parle de la France. Notre modèle social, il est fondé sur un lien de subordination dans lequel tu as une obligation de moyens en tant que salarié. Tu mets tes moyens de production au service d'un collectif imposé que tu acceptes. Et l'entrepreneur, celui qui a la tête ? Lui, il a certes une obligation de moyens qui est très renforcée, mais son sujet, c'est une obligation de résultat. C'est-à-dire, quoi qu'il arrive, il doit délivrer le résultat vis-à-vis de ses clients, vis-à-vis de ses salariés, vis-à-vis de ses banquiers. Dans les trois cas, tu ne peux pas dire que ça ne marche pas. Tu n'as pas le choix, sinon c'est fermé. Et ça, cette solitude de l'entrepreneur, c'est aussi ce qui fait son succès. Et quand on arrive à le diffuser dans l'entreprise, quand chacun peut avoir cette logique d'entrepreneur, ça veut dire avoir la capacité de ne pas être uniquement dans une situation de salariat, mais aussi être dans une situation d'actionnaire, de posséder une petite partie, même une toute petite partie de son outil de travail, se comporter aussi avec une autre casquette, ça change les choses. Pour que ça, ce soit possible. Il faut qu'on soit en proximité du fondateur, il faut qu'on soit en proximité du centre de décision. Pour être en proximité, tu ne peux pas avoir 60 strates hiérarchiques, tu ne peux pas avoir une échelle avec 52 personnes où tu as le chef du chef du chef du chef du sous-chef du chef, d'accord ? Et où en fait, tu n'as plus cette vision, tu n'as plus cette emprise, tu n'as plus l'impact de ce résultat. Et c'est ce qu'on a fait, on a aplati l'organisation en en créant quelque chose qui n'a que trois niveaux statutaires, donc ça veut dire deux niveaux hiérarchiques, et en permettant à un maximum de salariés, en fonction de ces trois niveaux, de pouvoir rentrer dans le capital de l'entreprise. Il est possiblement aussi détenu par une bonne partie des leaders, qui est ce qu'on pourrait improprement appeler le management intermédiaire chez OnePoint, qui ont la possibilité de rentrer dans le capital de l'entreprise. Et on a mis en place des FCPE pour que chaque salarié, s'il le souhaite, puisse rentrer dans le capital de l'entreprise. Donc c'est une aventure des intermédiaires, proche en obligation de résultats, où tu as à la fois une casquette et une sécurité de salarié, mais tu as aussi à la fois le goût de l'aventure et un peu du risque de l'entrepreneur.
Benjamin Suchar : Et comment tu donnes une visibilité sur la progression du coup, puisque quand tu as trois niveaux hiérarchiques, tu mets plus longtemps à écrire les étions, et comment tu donnes de la visibilité ?
Matthieu Fouquet : En fait, c'est justement ça. Si on ne faisait que ça, et merci de m'emmener sur ça, si on ne faisait que ça, en fait, on ferait exactement comme les autres empires. On se tire une balle dans le pied, c'est-à-dire qu'au lieu de dire tu passes de junior à middle, de middle à senior, de senior à manager junior, tu vois, ne fais pas ça. En fait, tu as un statut qui t'oblige, qui dit grosso modo, chez OnePoint tu as trois niveaux, associate, leader, partner. Les associates sont responsables de leur propre production, de leur propre rentabilité et de leur propre satisfaction. Les leaders, ils sont responsables d'au-delà de leurs propres personnes sur un collectif, donc ils sont responsables de la rentabilité, de la progression et de l'épanouissement de populations qui dépassent leurs propres personnes. Et les partners, c'est des leaders qui ont la capacité d'engager la responsabilité de l'entreprise. Donc tout le monde a un statut dans l'entreprise. Mais après, comme tu l'as peut-être noté, on est aussi organisé en expertise, en communauté d'expertise. Et donc, on a dans les expertises différents degrés de maîtrise d'expertise. Et on a la possibilité chez OnePoint, ça concerne presque plus de 80% de nos collaborateurs, de ne pas forcément vouloir évoluer statutairement, donc aller faire plus de business, aller gérer une rentabilité sur un collectif ou aller gérer un P&L, mais de pouvoir quand même évoluer dans sa carrière avec les mêmes impacts, les mêmes rémunérations, les mêmes avantages, mais en travaillant sur sa profondeur d'expertise. Donc plutôt que de monter en statut, tu peux évoluer en expertise unique ou multiple.
Benjamin Suchar : Donc des entrepreneurs, mais aussi des profils singuliers divers. Tu dis en fait, il ne faut pas que ce soit le salarié qui se conforme à l'entreprise, mais c'est l'entreprise qui va aussi évoluer avec le salarié, donc beaucoup d'ouverture. C'est quelque chose de peut-être un peu moins à la mode en ce moment. C'est toujours fondamental chez onepoint. En fait, quand tu es dans un modèle de croissance comme le nôtre, de croissance tant en termes de volume qu'en termes d'expertise, quand tu es à un job, ton job évolue par nécessité, parce qu'en fait tu es sur de nouveaux acteurs, de nouveaux périmètres, de nouveaux challenges. Donc tu n'es jamais dans un modèle en reproduction chez OnePoint, tu es toujours en découverte, c'est une aventure globale. Et le fait qu'on soit tous partis au capital, partis aux salariats de cette entreprise, quand tu es dans cette aventure-là, tu es confronté dessus. Donc oui, l'entreprise, elle s'adapte et chacun aussi accepte de pouvoir se repenser, se réinventer quasi quotidiennement.
Benjamin Suchar : Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe ici ? En fait, je lisais un ouvrage intéressant de sociologues qui prennent l'exemple de Decathlon. Et Decathlon, c'est une entreprise qui célèbre l'autonomie également, un petit peu comme onepoint célèbre l'entreprenariat. et ils notent que les salariés doivent endosser une posture qui renvoie moins à des traits de caractère propre aux personnes qu'à des dispositions inégalement distribuées dans l'espace social. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'ils disent que finalement les mécanismes de reproduction sociale vont réapparaître de plus belle dans l'entreprise, et qu'en gros les hommes issus des classes supérieures vont en ressortir gagnants parce qu'ils développent finalement des qualités qui sont attendues, alors que les classes plus populaires vont développer un rapport à la fois plus besogneux au collectif, à leur travail. Et donc cette autonomie portée en entendard par l'entreprise, est-ce que finalement ça ne peut pas renforcer des inégalités de genre, de classe et d'âge préexistantes, plutôt que fournir une vraie émancipation ? Et comment on peut éviter ces travers ?
Matthieu Fouquet : Tu as complètement raison, cette autonomie, si elle n'est pas surveillée au même titre qu'un code, au même titre qu'une IR, elle a ses propres biais en fait. Parce que tu as une situation de départ où les forts peuvent être encore plus forts et où les biais peuvent être de plus en plus importants. Donc tu les corriges. Il faut les surveiller, il faut les corriger. Il faut les corriger sans les orienter tant que ça. Donc il y a des convictions. Les convictions, tu les retrouves dans nos valeurs, tu les retrouves dans une mixité qui est forte, qui est une mixité tant de genres que une mixité sociale, que d'origine, que de destination, que d'étude. Et puis tu regardes aussi qu'il y a quelque chose qui tend vers un équilibre des représentations. Et tu as une loi du marché après. D'accord, c'est-à-dire qu'une fois que toi tu fais ça qui est ton obligation de résultat en tant qu'employeur, il faut aussi voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ce qui ne fonctionne pas, ce n'est jamais lié à des reproductions sociales, ça peut être lié à une approche du marché, à une production qui est moins bonne. C'est ça que tu corriges. Donc en fait, c'est aller chercher la performance, quoi qu'il en coûte, à la tête de chacune des communautés, des gens qui sont responsables comme de micro-entreprises pour aller chercher cette performance. mais aussi avoir une obligation d'équité de traitement dans son entreprise ou dans sa micro-entreprise, que sont les communautés.
Benjamin Suchar : Hyper intéressant. Matthieu, quand on s'est rencontré, moi j'ai tout de suite été marqué par notre rencontre. Alors déjà, c'était la première fois que je rencontrais un DRH qui était aussi directeur délégué. Et ça, ça m'a marqué par ton titre, mais aussi tout de suite parce que j'ai senti une sensibilité humaine Tu m'as posé des questions sur l'entrepreneuriat, sur mon parcours, et aussi par une sensibilité business. Tu m'a demandé ce que WorkLife pouvait apporter, quel retour son investissement pouvait apporter. Je me suis un peu souvenu de nous, quand on a cherché notre DRH, de la difficulté de trouver quelqu'un qui, à la fois, avait cette vision humaine, cette culture humaine, mais qui avait aussi cette vision business. Est-ce qu'il ne faut pas revoir la formation des ressources humaines ? C'est épineux, sûrement. Je ne sais pas si tu es RH de formation. Les formations RH sont hyper importantes parce qu'elles permettent de gagner du temps, elles apprennent des choses, mais il y a une logique à incarner. Peut-être quelques points sur ce sujet-là.
Matthieu Fouquet : Les indicateurs, les KPIs d'une équipe RH, ce ne sont pas des indicateurs qui sont spécifiquement liés uniquement au nombre de propositions d'amélioration ou au bien-être au travail ou ce genre de choses-là. Le premier indicateur d'une équipe RH, c'est les bid'as. On est dans une entreprise, l'alpha c'est la rentabilité, et la rentabilité c'est la condition de pouvoir développer, investir, améliorer le quotidien. Deuxième chose, c'est que le deuxième indicateur ça pourrait presque être comment est-ce que les managers managent. Les ressources humaines ne sont pas là pour manager à la place des managers. Elles sont là pour accompagner le manager et ne pas le laisser dans sa solitude. Donc l'acte managerial, c'est quelque chose d'assez difficile. Et le manager, lorsqu'il décide, lorsqu'il l'implémente, il a souvent besoin d'avoir quelqu'un qui lui donne ce miroir bienveillant et en faisant ça, peut-être que ça va donner ça, donner ça, donner ça. Il a surtout besoin de quelqu'un qui comprenne ses objectifs, ses contraintes, ses ambitions. Ses objectifs, ses contraintes, c'est d'avoir une rentabilité et de pouvoir le faire dans le meilleur cadre possible. C'est ça le job de DRH, le client des ressources humaines. Pour moi, ce ne sont pas les salariés. Le client des ressources humaines, ce sont les managers, c'est la direction d'une entreprise. C'est exactement comme quand tu vas chez le pédiatre. J'espère qu'un jour ça arrivera pour toi. Mais quand tu vas accompagner ton enfant chez le pédiatre, tu vas aller voir un spécialiste. Ce spécialiste, il va ausculter ton enfant et il va te dire, ou lui dire d'ailleurs, il y a ça, il faut peut-être prendre telle vitamine, il faut peut-être faire ça, ça et ça. Mais il ne va pas dire à ton enfant « tu feras ça comme étude ». Il ne va pas lui dire « maintenant, il faut se coucher à telle heure, faire ci, faire ça ». Ce n'est pas son job. C'est ton job en tant que père. Et donc le pédiatre, il ne va pas te désintermédier. Le pédiatre, il va te donner un regard expert. Et s'il comprend ce que c'est d'être parent, ce qui est généralement pas mal pour un pédiatre, en fait, il va pouvoir te comprendre toi, mais il va te redonner des clés complémentaires. C'est ça le rôle des ressources humaines. Les ressources humaines, elles ne s'occupent pas des gens. Elles s'occupent des gens qui gèrent des gens.
Benjamin Suchar : C'est extrêmement intéressant. Et d'ailleurs, c'est pour ça que tu remets la fonction RH complètement liée à la fonction direction, direction générale. Il y a beaucoup de RH qui luttent dans les grandes entreprises pour être au COMEX. Donc le secret, finalement, comment on fait pour changer ça ? Comment on fait pour que aussi les directeurs généraux et cette sensibilité-là, et remettre le RH au centre ?
Matthieu Fouquet : Je n'ai pas de solution, j'ai un constat. Paradoxalement, avec les évolutions technologiques qu'il y a, avec les impacts qu'il y a sur les métiers, on se rend compte qu'un bien-être de tes collaborateurs, un acte managériel sain, va avoir de plus en plus d'importance. Et ça, ça va devenir, ou c'est déjà d'ailleurs, une valeur clé de ton compte de résultat. Donc je pense qu'on y vient de plus en plus. Je pense qu'on voit que la fonction RH n'est pas une fonction genre le bureau des pleurs ou le bureau administratif qui est d'un côté. C'est une fonction qui aide au business. Elle n'est pas en opposition à des ventes, à de la production, à des achats, à de l'IT. Elle est complètement alignée dans la stratégie de l'entreprise. Et je pense que de plus en plus, les directions générales le comprennent. Je pense que de plus en plus, ils vont avoir besoin de le comprendre parce que tu vas avoir des nouveaux types de DRH. Tu vas avoir les DRH ou les directeurs ou je ne sais pas quoi des ressources humaines. Et tu auras sans doute une fonction miroir qui sera le directeur des agents. Il va falloir faire bosser et travailler de nouvelles mixités. Il va falloir travailler sur des mixités entre le vivant, le technologique. Il va falloir faire travailler toutes ces mixités-là et c'est ça qui va accélérer une production. Donc si le DRH qui était plus vécu comme le DRH qui était plus vécu comme le le un chef de DRH personnel, qui était plus vécu puis un chef comme le administratif, DRH puis qui était plus vécu quelqu'un comme qui fait du développement RH et des beaux plans de formation, qui est stocké vraiment dans une période entre les années 80 et les années 2000-2010. Je pense que ce n'est plus la tendance qui a des ressources humaines, on est plutôt sur des partenaires très stratégiques qui ont les mêmes risques que les directions générales.
Benjamin Suchar : On va parler justement de ces tendances. Avant ça, il y a un élément important parce que ton modèle et votre modèle, d'une manière générale, fonctionnent, mais ce n'est pas forcément la normalité du marché de l'emploi. Quand on regarde le dernier baromètre 2025 de la santé mentale, qui a été fait par Théâle en partenariat avec Opinion Way, qu'est-ce qu'on apprend ? On apprend que plus d'un tiers des salariés envisagent de quitter leur entreprise pour protéger leur santé mentale. 41% ne trouvent plus la motivation pour travailler de façon productive. Et il y a d'autres signaux, plus d'un salarié sur deux juge que la formation qu'il reçoit n'est pas adaptée à ses besoins. Et c'est un manque qui touche particulièrement les jeunes générations. Alors aujourd'hui, finalement, est-ce qu'on traverse une crise de performance ou une crise de sens ?
Matthieu Fouquet : Je ne sais pas. Il y a des multiples crises, en fait. C'est performance, sens économique, sociétal, géopolitique. La seule permanence, c'est une crise, en fait. Donc, on traverse que ça. Tu as effectivement, là, pour le coup, un impact générationnel qui peut être important. Et puis, tu as... quand même un tout numérique qui aussi peut t'éloigner de certains types de réalité. Et donc on en revient à ce qu'elles sont les obligations aussi d'une entreprise. Pour nous, les obligations d'une entreprise comme la nôtre par exemple, c'est aussi d'avoir une vigilance et de fournir les meilleurs outils de vigilance pour les salariés. typiquement.
Benjamin Suchar : Qu'est-ce que tu appelles vigilance ?
Matthieu Fouquet : Vigilance ou accès à un médecin, par exemple. D'accord. Que ce soit un médecin pour ta santé physique ou que ce soit quelqu'un qui t'accompagne pour ta santé mentale, par exemple. Donc ces moyens-là aussi, cette vigilance-là, c'est aussi un autre moyen de rendre autonome et de rendre responsable chacune et chacun de sa propre trajectoire.
Benjamin Suchar : Et selon toi, où justement s'arrête le rôle de l'entreprise ? Parce qu'est-ce qu'il va remplacer un État, un État Providence ?
Matthieu Fouquet : Je pense que ce n'est pas son rôle, même si tu vois que sur la formation, tu vois que sur la santé, il y a par nécessité une partie de désengagement de l'État et que les entreprises, plus ou moins, s'y substituent. Donc il y a ce point-là. Mais je crois que l'entreprise n'est pas le seul remède. Je pense que ce qui est le remède, c'est une émancipation forte de chaque individu. Il y a l'entreprise, Benjamin. L'entreprise Benjamin, il gère ses ressources, il gère sa production, il gère ses temps de repos, il gère ses temps sociaux.
Benjamin Suchar : Mais alors, qu'est-ce que tu dis face aux gens qui te rétorquent que finalement, l'entreprise, ce n'est pas une valeur d'émancipation. Le travail doit être minimisé et que c'est tout le reste qui est important parce qu'on l'entend aussi ça dans la société. Comment faire tout entreprise quand pour certains, finalement, ça n'est qu'une utilité et pas une source d'épanouissement ?
Matthieu Fouquet : Je n'ai pas la réponse. J'ai la réponse que tu dois permettre, quand tu es une entreprise, une émancipation forte. Et donc pour ça, c'est un intérêt à ton travail et pour ça, c'est une vision sur ce que tu fais. Comme dans un mariage, tu restes pas marié quand t'es contraint. Quand t'es enfermé à la cave, a priori, tu restes pas marié quand tu peux t'échapper et tu t'échappes. Tu restes marié parce que tu le souhaites. L'entreprise, en fait, elle doit entretenir cette alchimie-là. C'est là aussi une autre obligation de résultat de l'entrepreneur. Donc, elle doit tout faire, justement, pour concourir à un épanouissement des salariés. Maintenant, si ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne pas. Et tu fais ton pacte social en expliquant voilà ce sur quoi nous, on travaille et ce que vous êtes en droit d'attendre de nous. Mais ça, c'est... C'est un pacte entre nous. Il faut aussi qu'il y ait du répondant. On ne peut plus être dans une société où tu attends de voir ce qui se passe. On ne peut plus être dans une société où un salarié n'est qu'en obligation de moyens. Donc le j'attends de voir, c'est la pire phrase qu'on peut te donner. Impossible. D'accord. Et le spectateur, pas possible. Dans une entreprise comme la nôtre, ce n'est pas possible. Et j'ai une conviction profonde que ce n'est pas possible dans les entreprises, quelles qu'elles soient de demain.
Benjamin Suchar : Chaque salarié doit être acteur à chaque moment, finalement, et il en porte une responsabilité comme l'entreprise porte sa propre responsabilité.
Matthieu Fouquet : Exactement. Je pense qu'on est en train de sortir de la dernière page de l'infantilisation du salarié dans une organisation. C'est ce qui est demandé par beaucoup de forces en présence, de ne pas être uniquement un objet, un numéro dans une entreprise, dans une organisation, c'est d'avoir cette possibilité d'émancipation. Je pense que c'est ce qui est en train d'arriver. Donc, on ne peut pas être spectateur, on doit être acteur. Et ça, l'entreprise doit permettre d'être acteur.
Benjamin Suchar : Et d'ailleurs, finalement, c'est une sorte d'exigence, mais qui est preuve de respect. Parce que si finalement, tu n'as pas cette exigence envers tes salariés, c'est aussi un manque de respect parce que les pousser à aller plus loin et à prendre plus d'autonomie, c'est aussi et d'ailleurs, en premier lieu, parce que tu les respectes fondamentalement.
Matthieu Fouquet : Exactement, exactement.
Benjamin Suchar : Vous avez mené avec onepoint et Cantar Public une étude prospective sur ce qu'allait être le travail en 2035. Il y a eu plus de 2000 Français qui ont été interrogés. Il y a pas mal de choses qui ressortent de cette étude. La multiactivité, le reboot permanent, le travail augmenté, l'évolution des métiers. Toi, qu'est-ce qui t'a marqué particulièrement dans cette étude ?
Matthieu Fouquet : Moi, je suis bluffé sur le multi-activité. Ça va complètement avec ce que je tente d'expliquer. C'est-à-dire qu'en tant que salarié, en tant qu'entrepreneur, dans ta vie professionnelle, tu ne seras plus dans un métier, une fonction, un grade, une entreprise. Tu sais que ça va évoluer de plus en plus parce que Il y a ton appétence, mais surtout parce que ce métier va évoluer. Surtout parce que ta compétence, elle change. Tu as une étude de l'OCDE qui montre que les compétences aujourd'hui, elles durent deux ans. Dans les années 80, elles duraient 30 ans. Donc de toute façon, ça change. Et ce changement s'accélère et s'accélère et s'accélère. Donc le multi-activité, plus qu'être un constat, C'est une nécessité. Donc ce sera une nécessité en source de revenus, en source d'épanouissement, en source de rebonds, parce qu'on va avoir des ruptures sociales et sociétales de plus en plus fortes. Donc moi, j'étais bluffé par cette acceptation de ce panel, déjà il y a trois ans, de la multiactivité comme horizon professionnel et horizon de vie. Moi, je veux dire, ça, ça m'a frappé.
Benjamin Suchar : parce qu'en tant qu'entrepreneur, la multiactivité, c'est mon quotidien, c'est-à-dire que ça bouge d'une réunion à l'autre. En effet, si je dois réfléchir, je crois que c'est ce qui me plaît en tant qu'entrepreneur, c'est la capacité à pouvoir avoir des sujets, de passer d'une réunion tech à une réunion légale, à une réunion marketing. Là, c'est poussé à son extrême, mais je comprends la source d'épanouissement que tu peux avoir.
Matthieu Fouquet : Dans une organisation qui est structurée en forme d'expertise, comment tu fais pour pousser cette multiactive ? Tu le prépares. Ce que tu décris, c'est un rôle de general manager qui change de casquette. Effectivement, c'est épanouissant parce qu'il va sur plein de thèmes. La multiactivité, c'est aussi différentes sources de revenus, différentes natures de contrats sociaux, différentes natures d'intervention. Tu peux avoir quelqu'un qui est salarié, tu peux envisager quelqu'un qui est salarié sur une partie, qui a des droits d'auteur sur une autre, qui enseigne sur d'autres, qui fait un autre job à côté. C'est ça la multiactivité. Mais la multiactivité nécessite une adaptabilité forte. une souplesse forte. Et moi, je suis hyper fier dans l'entreprise dans laquelle je suis aujourd'hui, de préparer à cette multiactivité, parce qu'effectivement, tu as mentionné, il y a de multiples expertises. Et dans une entreprise qui est relativement décloisonnée, qui permet à chacune et chacun d'aller toquer à la porte de communautés en disant, moi votre expertise elle m'intéresse, certes je produis là, mais je voudrais rentrer dans le cercle de décision ici, ou rentrer dans le cercle d'influence ou d'information ici, je développe mes expertises. Moi je suis hyper fier, chez OnePoint, t'as pas loin de 4000 profils atypiques. Et ça, si on doit avoir une certitude, c'est que quand tu passes chez OnePoint, dans quasi 100% des cas, tu es bien plus employable, tu es bien plus adaptable au monde d'aujourd'hui, au monde de demain. Parce que tu as cette possibilité-là de te former et tu n'es pas dans un couloir. Et c'est ça la première chose qui m'a marqué de cette étude. La deuxième chose que tu mentionnais, c'était le reboot permanent. Ça, ça m'a bluffé, je questionne toujours en fait. Vous êtes sûrs ? Parce que cette étude, elle dit qu'en 2035, tu auras près de trois heures de formation par jour. truc incroyable versus un peu moins de 20 à 25 minutes en moyenne en ce moment où il y a trois ans. Donc tu les trouves où ? Et en fait, c'est le reflet de l'évolution de la société. Chaque fois que tu vas sur un nouvel outil, chaque fois que tu vas sur une nouvelle expertise, sur une nouvelle activité, tu te formes en permanence. Et ça, je pense que le multi-activité et un reboot permanent, ce sont les deux clés de l'autonomie, ce sont les deux clés qui font que demain, c'est l'entreprise Benjamin que tu gères.
Benjamin Suchar : Et cette formation, on commence là avec l'IA aussi, à le voir beaucoup dans les entreprises, parce que c'est une nécessité de former de manière permanente et continuer les managers parce que ça avance tellement vite. Et pas que les managers d'ailleurs, tout le monde, tous les salariés. Donc on y arrive finalement peut-être avant que 2035.
Matthieu Fouquet : Peut-être, mais il y a un autre point qui est lié par rapport à ça. Tu sais, dans cette étude, ils disent une troisième chose, ils disent aussi que les gens seront augmentés par la tech.
Benjamin Suchar : Oui, j'allais te poser la question, tu parles de travail augmenté, mais c'est bien, de travail augmenté, qu'est-ce que c'est le travail augmenté ?
Matthieu Fouquet : En fait, tu en parles quand tu parles de l'IA, quand tu parles de la tech, tu vas plus vite, c'est-à-dire que tu vas au-delà, tu as des outils bien plus importants que ceux que tu avais jusqu'à présent. Sur un job de consultant, c'est fou, sur un job de développeur tech, c'est fou, tu vas plus vite, tu vas coder plus vite, tu vas designer plus vite, tu vas produire plus vite. tu vas analyser plus vite. Et ça, c'est assez impressionnant. Mais ça a un corollaire sur lequel, là aussi, les entreprises ont une responsabilité forte et qu'on a, nous, c'est de vérifier aussi l'intensité que ça donne en termes de travail. Donc, tu es augmenté par la tech, donc tu vas aller de plus en plus loin, tu vas être de plus en plus connecté. Ça va faire une intensité très forte. Et là, ça peut déboucher sur des problématiques de santé mentale, de santé psychique, de santé physique.
Benjamin Suchar : Mais tu as les deux possibilités parce que tu peux dire que justement, grâce à la tech, ça va te permettre aussi de pouvoir avoir plus de temps libre et de pouvoir profiter et donc, du coup, de faire l'opposé de ce que tu lis.
Matthieu Fouquet : Oui, ou d'avoir d'autres types d'activités, d'être multiactif. Et on en revient à ce premier point qui me bluffe le plus, c'est le multiactivité dans lequel tout le monde se projette, enfin beaucoup se projettent.
Benjamin Suchar : Parlons des valeurs maintenant. On a parlé tout à l'heure et tu nous as dit que tu allais nous expliquer comment vous aviez constitué vos valeurs. Avant, je veux te poser même la question de notion de valeur, parce qu'on connaît tous des entreprises dont les valeurs n'ont finalement rien à voir avec ce que les salariés ressentent. Chez WeWork, si tu as vu la série « La valeur du what you love » ou même « L'esprit de communauté qui t'est cher », ça n'a pas empêché des dérives managériales. WeCrushed, je le conseille pour ceux qui ne l'ont pas vu. Dans une autre série qui s'appelait « Uber Pop », Uber, ils disent « we do the right thing », ça a cohabité avec les scandales. Donc toi déjà, comment tu as mis en place, vous avez mis en place les valeurs, et comment on fait en sorte que ce ne soit aussi pas des éléments qui enferment ? Et troisième élément, les valeurs, est-ce qu'il ne faut pas qu'elles soient un petit peu controversées ? C'est-à-dire pas controversées, mais qu'on puisse y adhérer ou non, disons plus clivantes. Est-ce que finalement, pour que des valeurs fonctionnent, on ne doit pas être un minimum clivant ? Parce que si on est dans des valeurs trop larges, tout le monde peut s'y reconnaître et donc il n'y a pas de différence ou de singularité de l'entreprise.
Matthieu Fouquet : Alors, je ne sais pas te répondre à ça. Ce que je sais te dire pour le livre de l'intérieur, c'est que les valeurs que nous, on affiche et qu'on applique, ce ne sont pas des valeurs papier glacé. Nous, les valeurs, on ne les a pas décrétées. On les a découvertes et je pense que c'est hyper important. La façon dont elles sont nées, elles sont nées sur de la co-construction. On a posé des questions aux salariés. Une question, qui était de dire, complétez la phrase. Chez onepoint, nous sommes. Et on a envoyé ça à tous les salariés. A l'époque, il devait y avoir 1200-1300 salariés. C'était hyper intéressant les réponses qu'il y a eu. Et nous, après, on les a déployées. Mais comme elles ont été à la base découvertes par le plus grand nombre et par les diversités de collectifs qu'on peut avoir dans l'entreprise, elles sont naturelles et elles ont créé un socle qui est un socle dans lequel tout le monde se retrouve.
Benjamin Suchar : Parce que moi, ça me parle beaucoup. D'ailleurs, par exemple, en entretien, ça m'arrive de poser aux candidats la question de savoir quel type de joueurs de jeux de société ils sont. Et en fait, moi, ce qui m'intéresse de savoir, c'est de savoir si aussi, parce qu'on est tous peut-être un peu mauvais joueur ou il y a des tricheurs, pas tous, mais les L'idée pour moi derrière dans cette question, c'est de voir est-ce que la personne est authentique ? Est-ce qu'elle va en réalité faire une réponse qui est une réponse attendue ? Ou est-ce qu'elle va pouvoir aussi montrer un signe, peut-être qui n'est pas dans l'attente de l'entreprise, mais qui est dans l'authenticité ? Et ce n'est pas si évident, en fait. Et alors, tu es quel genre de joueur ?
Matthieu Fouquet : Moi, je suis mauvais joueur et je suis tricheur. Mais j'adore jouer et tant que c'est qu'un jeu, je m'éclate.
Benjamin Suchar : Avec toute cette expérience que tu as eue depuis maintenant 17 ans chez onepoint, si aujourd'hui tu remettais ta casquette de DRH dans l'industrie automobile, tu changerais beaucoup de choses ?
Matthieu Fouquet : Dans l'industrie automobile ? Oui. J'irais plus vite. Mais moi, j'ai été dans une industrie automobile qui était assez responsabilisante. J'étais dans une entreprise qui a participé, qui a été dans les premières entreprises à importer le toyotisme, qui s'est basé sur l'implication du personnel. L'implication du personnel, c'est le mot de base de l'empowerment qui est dans la bouche de tout le monde. Donc qui était quand même le principe, c'est qu'on fait mieux ce qu'on décide que ce qu'on nous impose. Et donc qui était qu'on sait sur une ligne de production comment il faut faire. Ces principes viennent en partie de là. Moi, j'irai plus vite avec ce que je sais aujourd'hui. Je m'amuserai moins que ce qui se passe aujourd'hui.
Benjamin Suchar : C'est le fameux moment du choix des cartes. Tu as une carte en face de toi. Utopie et dystopie. À toi de choisir.
Matthieu Fouquet : Dystopie.
Benjamin Suchar : On va imaginer 2050, les grandes entreprises prennent tout en charge. Logement, santé, retraite, loisirs, école des enfants, accompagnement des parents indépendants. L'entreprise devient un écosystème total de la vie. Mais dans ce modèle, Le contrat implicite va changer. Puisque l'entreprise donne tout, le collaborateur doit tout rendre. L'obligation de résultat devient totale, la charge mentale explose, un échec professionnel, c'est aussi mettre en danger son logement, l'éducation de ses enfants, la santé de sa famille. Dans un tel monde, est-ce qu'on parle encore de performances centrées sur l'humain ou d'une nouvelle forme de servitude moderne ?
Matthieu Fouquet : C'est évident que c'est une nouvelle forme de servitude moderne. C'est le lien de subordination multiplié à l'extrême et tu arrives sur une logique d'esclavage et d'aliénation complète. Il faut qu'on évite ça absolument. Le modèle dont je te parle, le modèle auquel on croit, qu'on déploie et qu'on adapte aux réalités, il ne conduit pas à ça. Tu vois, quand je reviens sur notre étude en 2035, quand je reviens sur du multi-activité, c'est justement une possibilité d'émancipation. Donc il ne conduit pas à ça, et je pense qu'il ne faut pas aller sur ça, parce que c'est tout l'inverse d'être acteur. Tu n'es pas en obligation de résultat, tu es en obligation de soumission. Ce n'est pas le sens de l'histoire. Le sens de l'histoire, c'est certainement de libérer les énergies. Le sens de l'histoire, c'est de devenir acteur et d'être maître de son choix.
Benjamin Suchar : Et bien sur ce, un grand merci.
Matthieu Fouquet : Merci à toi.
Benjamin Suchar : Merci beaucoup, Matthieu.
Matthieu Fouquet : Merci à vous d'avoir suivi cet épisode de Beyond Work and Life. N'hésitez pas à partager vos avis en commentaire, à liker pour soutenir le podcast et à vous abonner pour ne rien manquer. On se retrouve très vite pour un prochain débat. À bientôt.