Transcription complète : Égalité Salariale et Transparence (Sandrine Dorbes)

Thèmes abordés (Extraits) :Il incombe à l'entreprise d'être transparente sur tout, c'est-à-dire en effet, sur le salaire. Les femmes sont toutes aussi bonnes pour négocier que les hommes, ce n'est pas le sujet. Ils font huit entretiens et à la fin, ils se disent: En fait, on n'est pas d'accord sur le salaire. À un moment donné, il y a eu un tour de table très bizarre. On ne va pas aux mêmes soirées. Ça, ça va inclure aussi les avantages salariés. On n'a pas toujours envie de lâcher cette petite partie du pouvoir. Mais à poste équivalent et à salaire équivalent, tu peux avoir une entreprise dans laquelle tu as une progression salariale très forte. La rémunération n'est pas qu'une question d'argent, cher ami. Quel est le plus grand tabou dans l'entreprise aujourd'hui ? Le sexe, la politique ou la rémunération ? Selon une étude, 63% des salariés déclarent n'avoir aucune idée de ce que gagne leur collègue. Et pourtant, les fantasmes courent, les frustrations montent et les inégalités se creusent. En 2026, une directive européenne changera les règles du jeu. Salaire minimum affiché dans les offres d'emploi, rapport d'écart, droit à l'information, sanctions en cas de discrimination. Pour en débattre, Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération, conférencière, auteur de La rémunération n'est pas qu'une question d'argent, aux Éditions Dunot et fondatrice du cabinet How Much. Bienvenue dans Beyond Work & Life, je suis Benjamin Suchar, cofondateur et directeur général de WorkLife. Allez, c'est parti.

(Séquence d'extraits médias)

Benjamin Suchar : Bonjour Sandrine. Bonjour Benjamin. Merci d'avoir accepté mon invitation.

Sandrine Dorbes : Merci de m'avoir invitée.

Benjamin Suchar : J'aimerais commencer avec une question assez directe. Est-ce que la transparence salariale, ça éclaire finalement la valeur d'un poste ou l'ego de celui qui l'occupe ?

Sandrine Dorbes : C'est une très bonne question. Pour moi, la transparence salariale... Alors, avant la directive, la directive est tombée en mai 2023. Avant cette directive, quand on me parlait de transparence, je disais: De mon point de vue, la transparence, c'est répondre à deux questions: comment les salaires, ils sont définis et comment ils vont évoluer dans le temps. Depuis, il y a la directive qui vient affiner cette notion de transparence. Et cette notion de transparence vue par la directive, elle s'intéresse à la communication des informations, en tout cas la transparence, la visibilité autour des règles qui définissent les salaires au sens large, pas uniquement le salaire fixe. Et comment est-ce que ces salaires évoluent au sein de l'entreprise ?

Benjamin Suchar : Mais c'est devenu doux, finalement, cette revendication, cette demande, parce que la directive, elle doit forcément aboutir à quelque chose qui était présent. Des salariés, des dirigeants, qu'est-ce que tu vois, toi ?

Sandrine Dorbes : La directive, ce n'est pas un délire de wokeiste bruxellois, cette directive, elle vient dans un contexte historique qui est assez clair. L'égalité salariale, elle est inscrite dans la loi depuis le Traité de Rome, 1957. Donc, ça commence à dater un peu. Depuis le Traité de Rome, il y a eu plusieurs textes de loi, il y a eu une directive pour régler ce problème d'inégalité, en tout cas d'écart de salaire entre les hommes et les femmes. Constat en 2023, ça n'avance pas assez vite. Et j'avais un client qui calculait son index égalité professionnelle. Il m'a demandé: OK, combien je dois mettre sur la table maintenant pour être débarrassé des inégalités de salaire dans mon entreprise. L'idée, c'est qu'il avait un budget global. Il voulait savoir combien d'années il fallait qu'il répercute ce budget global pour arriver à une égalité parfaite. La réponse, c'était plusieurs dizaines d'années à périmètre égal. C'est-à-dire qu'on ne vire personne, on ne fait rentrer personne dans l'entreprise. Et d'ailleurs, qu'est-ce que l'égalité ? Est-ce qu'on doit mettre l'égalité dans l'entreprise ? C'est plein de questions d'ordre politique, philosophique, qui viennent bousculer les applications. Je reviens à ce qu'on se disait. Constat en 2023, on a du à réduire les écarts de salaire entre les hommes et les femmes. Pourquoi ? Parce qu'au moment du recrutement, finalement, il y a des personnes qui arrivent à mieux défendre leurs intérêts. Parce que les règles, elles ne sont pas très claires. Quand on postule à un poste, on ne sait jamais trop pour combien on joue. Au moment du recrutement, le ou la recruteuse va nous demander: À combien vous êtes aujourd'hui ? Et ce salaire-là, il va servir un peu d'ancrage, de dire: OK, cette personne est à 40. Si je lui propose 45, elle fait déjà un beau gap. Donc, inutile d'aller au-delà, quand bien même mon budget est à 50 000. Donc, au moment du recrutement, on ne réduit pas les écarts.

Benjamin Suchar : Mais donc ça, ça vient parce que les hommes et les femmes vont avoir une vision très différente de la manière dont ils vont justement proposer, demander leur prétention salariale ?

Sandrine Dorbes : Au-delà des hommes et des femmes, c'est vrai qu'on dit souvent que les femmes ne savent pas négocier, ce qui énerve beaucoup de personnes, il y a une propension qui est plus forte chez les hommes à parler de rémunération. Il y a une chercheuse d'Harvard qui commence son papier en expliquant qu'elle en a marre qu'on dise que les femmes ne savent pas négocier. Les femmes sont toutes aussi bonnes pour négocier que les hommes. Ce n'est pas le sujet. Par contre, il y a un coût social à la négociation que les femmes, elles doivent endosser d'être vues comme la personne pénible, par exemple. Négocier pour son équipe, c'est hyper bien vu, ça fait très team player, mais négocier pour sa pomme, ça fait un peu égoïste qui veut tirer la couverture à elle. Et cet effet-là, les femmes ne veulent pas l'endosser et donc décident de ne pas inconsciemment, parce que sinon, ce serait trop simple, mais inconsciemment, décide de ne pas aller à la négo', de ne pas en tout cas, jouer aussi durement, quelque que pourraient le faire les hommes.

Benjamin Suchar : Moi, ce que j'observe aussi, au-delà de la capacité de négocier, c'est qu'il y a un vrai rapport différent dans la manière de négocier entre les hommes et les femmes. C'est-à-dire que souvent, les femmes, elles vont avoir propension à aller négocier sur leurs compétences passées, sur ce qu'elles ont achieved réellement. Alors que quand on est face à un homme dans une négociation, il va aller plutôt être sur la projection future, sur ce qu'il va pouvoir réaliser. Et donc, du coup, les écarts ici peuvent se creuser. C'est un truc que tu as pu vivre, toi ?

Sandrine Dorbes : Oui, c'est quelque chose qu'on dit beaucoup. Il y avait des stats qui sortent de je ne sais où, mais qui disaient qu'une femme attend d'avoir 110% des compétences d'une offre d'emploi pour postuler, là où un homme, quand il en a 80, il se dit: OK, les 20% restants, je vais finir par les acquérir à un moment, je tente le coup quand même. Il y a ce truc-là qu'on voit. Je pense que ça vient de la... Ça n'a rien de génétique, c'est vrai de la socialisation des femmes, de comment est-ce qu'on a élevé les petites filles, de comment est-ce qu'on les a accueillies dans le monde. Je veux dire, quand on rentre à l'école, on ne traite pas les petites filles, les petits garçons de la même façon. Aujourd'hui, c'est quelque chose dont on a conscience, qu'on essaye de corriger. Néanmoins, il y a bien quelque chose qui m'avait marquée, c'était Christine Lagarde en 2020. Christine Lagarde, elle n'était pas connue pour être une grande féministe. Elle était contre les quotas, elle avait des positions assez dures. Et en 2020, elle fait une vidéo pour Brut, où elle explique qu'elle a fait une très longue carrière dans le public, dans le privé, dans le conseil, dans l'industrie. Et que, force est de constater qu'après cette longue carrière, quand elle regarde en arrière, elle se souvient de beaucoup de collaborateurs qui sont venus demander d'augmentation ou négocier une prime là où elle n'a jamais eu de collaboratrice. Très bien. Il y a ce truc-là de très féminin qui vient de l'éducation et qui vient de la socialisation et de ce qu'on va renforcer aussi dans la vie quotidienne et au travail.

Benjamin Suchar : Finalement, plus de transparence, c'est principalement aussi avoir une meilleure égalité femmes-hommes. C'est-à-dire que si dès le départ, quand tu postules à une offre d'emploi, on te précisément quelle est la fourchette pour laquelle tu joues, tu t'appelles Michel ou Michelle, c'est pareil. Tu vas aller chercher cette fourchette-là. Et si on te propose le bas de la fourchette, tu vas challenger, dire OK, je vous remercie, mais pourquoi ce bas de la fourchette ? Et l'employeur en face va être obligé de justifier ce positionnement-là, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Aujourd'hui, on peut avoir plusieurs entretiens. Quand quelqu'un m'a parlé l'autre jour d'un process de huit entretiens, à chaque fois, ça me fait sourire, je lève les yeux au siège, je vais dire: Mais ces mecs, ils sont pris pour Google. Et même quand Google le fait, ça me fait rimer. Et tu veux dire, ils font huit entretiens et à la fin, ils se disent: On n'est pas d'accord sur le salaire.

Sandrine Dorbes : C'est quand même hyper frustrant. Oui. Huit entretiens, la personne s'est investie, elle s'est projetée pour au final que la proposition salariale ne soit pas OK. Et tout le monde a perdu beaucoup de temps. Et et c'est hyper frustrant. Se mettre d'accord dès le départ, un, ça évitera que celles et ceux qui ont du mal à négocier se fassent un peu avoir, et deux, on gagne un temps fou.

Benjamin Suchar : Pourquoi ça se passe ? Tu crois qu'à la fin, les gens vont dire: Avec huit entretiens, il sera peut-être plus Il y aura une proportion plus grande à vouloir accepter le poste pour un salaire plus petit ?

Sandrine Dorbes : Il y a une partie de moi qui a envie de te répondre. Ils font huit entretiens pour faire comme Google. Et l'autre partie, oui, il y a de ça. C'est que parfois, on me dit: On va réussir à le convaincre ou la convaincre. Parce qu'à force de nous voir et à force de voir que le projet, il est super et que nous, on est super et que notre dirigeant, notre dirigeante a une supervision, la personne, elle va accepter le salaire.

Benjamin Suchar : Ça arrive jamais ça ?

Sandrine Dorbes : Non, mais ça arrive, mais ça serait pareil dès le début. C'est-à-dire que quelqu'un qui, dès le premier entretien, on joue cartes sur table, on dit: Voilà pour combien vous jouez. Maintenant, est-ce que vous voulez qu'on continue à se voir ou pas ?

Benjamin Suchar : Tu crois que ça arrive jamais de finalement avoir un espèce de coup de cœur où tu es capable de baisser tes prétentions salariales que tu avais au début, je ne serais peut-être même pas arrivé dans l'entretien. Et au final, il y a quelque chose qui se passe et qui fait que tu vois des perspectives d'avenir, tu vois finalement que ton salaire de base, il pourra évoluer évolué de manière beaucoup plus rapide que dans d'autres sociétés. Ça t'est arrivé ? Moi, j'ai toujours été entrepreneur, donc est-ce que ça m'est arrivé ? Probablement pas. Mais je pense, en effet, quand on a tout juste commencé, on n'avait pas beaucoup de moyens et je pense qu'on a réussi, on n'avait pas de transparence de salaire au début, à permettre à quelqu'un qui n'avait pas forcément l'idée d'aller sur un job aussi bas. Je me souviens d'un de mes salariés qui est devenu le cofondateur de Work Life qui s'appelle Sergio. Au début, il était arrivé dans un stage qui était payé par l'Union européenne et il devait arriver en conseil après. Il devait complètement partir. C'était dans la précédente boite qui s'appelle YouPease. Il y a eu un coup de cœur professionnel qui s'est créée et il a accepté de venir travailler au sein de YouPs à l'époque pour beaucoup moins que ce qu'il aurait pu imaginer avoir. Il peut se passer des éléments comme ça, non ?

Sandrine Dorbes : Il peut se passer comme ça. Là, typiquement, tu prends l'exemple de quelqu'un qui est déjà dans l'entreprise, qui arrive à se projeter, qui connaît. L'exemple n'est pas celui qui serait le plus parlant. Oui, je pense que ça arrive, mais ma conviction à moi, c'est que ces personnes-là, tu peux quand même échapper au premier entretien. Tu peux quand même peut-être changer aussi la façon dont on construit les entretiens. Dans quel ordre est-ce qu'on donne les infos ? On va dire: Voilà ce que nous, on est prêt à donner parce que notre projet, c'est ça. Est-ce que vous êtes curieux, curieux et vous voulez continuer ? Ou est-ce que pour vous, c'est un no go ? Ceux qui vont dire: Je suis curieux, curieux, c'est ceux qui commencent un peu à faire les comptes. Ils vont dire: OK, effectivement, peut-être que ça pourrait être une étape dans ma carrière qui m'amènera ailleurs. Celles et ceux qui diront: Non, non, no go, c'est ceux qui ne pourront pas, ne voudront pas, quelles que soient leurs raisons, faire un compromis sur leur rémunération parce que toute leur vie est calée sur un salaire et qu'ils ne quitteront pas leur emploi pour moins ou pour pas beaucoup plus. Donc moi, ma croyance, c'est vraiment non. Les gens qui sont prêts à faire des compromis, on peut les convaincre dès le départ. Ce n'est pas après huit 8 entretiens. Là, c'est un peu la théorie des jeux. À ce moment-là, ils sont tellement investis. Quelqu'un qui, dès le départ, ne pourra pas faire de compromis sur sa rémunération, ne pourra pas en faire après 8 entretiens non plus.

Benjamin Suchar : Mais en fait, je pense qu'il incombe à l'entreprise d'être transparente sur tout, c'est-à-dire en effet sur le salaire, mais à post-équivalent et à salaire équivalent, tu peux avoir une entreprise dans laquelle tu as une progression salariale très forte et l'autre où ton salaire, tu vas le garder pendant les trois prochaines années. Finalement, c'est le rôle aussi à l'employeur de pouvoir mettre ces éléments en Tout ce qui va concerner sa rémunération et pas que le salaire, ça, je sais que tu en parles pas mal, mais aussi à quel point ce salaire, il peut évoluer et être réévalué rapidement.

Sandrine Dorbes : C'est ce que je te disais au tout départ sur la transparence. La transparence, c'est comment mon salaire, il est défini et comment il va évoluer dans le temps. Et c'est ce que la directive prévoit. Parce que le premier volet, c'est au moment du recrutement, il faut que les informations soient claires. Et au moment de la vie dans l'entreprise, il faut que les collaborateurs, collaboratrices aient accès aux informations qui concernent leur positionnement et leur salaire. Je gagne 40 000 €, pourquoi 40 000 ? Pourquoi pas 42 ? Et si on se dit que je suis grade J, ça veut dire quoi être grade J, très concrètement ? Et si je veux passer au grade du dessus, qu'est-ce qu'on attend de moi ? C'est ça aussi la transparence.

Benjamin Suchar : Mais tu vois, c'est assez intéressant parce que des négociations salariales, évidemment, j'en ai eu souvent. En revanche, j'ai rarement eu quelqu'un en entretien qui est venu me voir en me disant: En moyenne, vous augmentez de combien de pour cent tous les ans ?

Sandrine Dorbes : Ça, c'est terrible. En fait, au-delà de la rémunération, en France, on n'aime pas trop parler d'argent et on ne sait pas parler de rémunération parce qu'on n'apprend pas. Se parler de rémunération Une émotion, c'est se parler d'argent et on n'aime pas ça. Et c'est se parler de nos besoins, de nos émotions. Et on n'aime pas ça non plus. Quand je parle d'émotion, tout de suite, on se dit: Ça y est, on est parti. Oui, oui, au pays de la RH. Non. Une émotion, c'est un signal que ce qui est en train de se passer, c'est OK pour nous ou pas. Donc, quand on doit se parler de rémunération et que je suis déjà stressée et que tu dis un truc qui me met en colère, on ne parle pas que d'argent, on parle d'un truc que ça va chercher. Qu'est-ce que ça dit de moi et de mes envies ? On ne nous apprend pas à se parler de rémunération et j'avais une discussion avec une copine qui passait un entretien et elle Elle n'avait aucune idée de pour combien elle jouait, justement, mais elle avait des prétentions salariales. Elle ne savait pas quoi donner comme prétention salariale. Elle me dit: Je ne sais pas quoi donner. Je me dis: Tu veux combien ? Je dis: Moi, je veux 60. Ok, super. Pourquoi tu ne dis pas 60 ? Parce qu'imagine, eux, leur budget, ce n'est que 50 et je ne voudrais pas qu'ils me ferment la porte. Mais si c'est que 50, tu y vas ou pas ? Elle me dit: Mais sort de question, ce n'est pas possible. Du coup, de quoi on parle ? Oui, parce que je voudrais leur dire que moi, je le 60, mais je serais quand même OK pour moins. Ce n'est pas compliqué. Je le dis de manière un peu péremptoire, mais en vrai, on ne nous a pas appris à dire: C'est OK de dire: Écoutez, moi, aujourd'hui, je demande 60 000 €. Maintenant, vous, c'était quoi votre budget et à quoi vous pensiez ? Tout à fait. Ce n'est pas parce qu'elle avait peur qu'on lui claque la porte au nez. Je lui ai dit: Écoute, tu dis ça, on ne va pas dire: Écoutez, madame, là, vous avez complètement dépassé les bornes, ça ne correspond pas à nos valeurs, on arrête l'entretien. On va lui dire la vérité. On va dire: Non, écoutez, 60, ça correspond à ce qu'on avait en tête. On va lui dire: Ouh là là, nous, on était plutôt à 55. Et du coup, pourquoi 55 ? Est-ce que 55 parce que finalement, ce n'est peut-être pas la bonne personne. Peut-être qu'on va chercher quelqu'un d'un peu moins compétent ou avec un peu moins de responsabilités. Ou peut-être que c'est 55 parce que l'équité en interne fait que ce poste, on ne le mettra pas à plus de 55. Mais du coup, c'est une discussion à avoir. Et après, c'est au candidat, au candidate de décider si c'est OK pour eux ou pas. Et ça, je me souviens où je suis venue tout à l'heure, où je suis partie sur des chemins de traverse. Je suis ceinturneur de digression, il faut faire attention. Il y avait une cliente qui avait une grille de salaire très ferme. Il y a une grille qui s'applique à tout le monde, on ne fait pas de dérogation. Quand cette grille a été mise en place et surtout quand de la politique de ne pas déroger à la grille a été mise en place, il y avait une peur des managers de dire: Ouh là là, mais du coup, on va perdre des candidats, candidates. Avoir du mal à recruter si on est trop rigide. Ils se sont rendus compte que c'était le contraire parce que non seulement ils présentaient la grille au moment des entretiens, mais ils présentaient aussi les critères d'évolution en disant: Voilà, ça, c'est notre grille. Donc vous, si vous venez, vous serez ici dans la grille. Pour passer à la case du dessus, il faudra faire tout ça. En général, ça prend un an, un an et demi, deux ans. Et vous serez là. Les critères qu'on attend sur ce poste, regardez, boum, un template des évaluations annuelles, ont permis aux gens de se projeter et que du coup, il y avait des gens qui demandaient plus, mais qui, au final, avaient une visibilité très claire de là où ils allaient et préféraient venir dans cette entreprise qui était très claire sur ces critères et assez transparente, plutôt que d'aller dans une autre où ils auraient réussi à gratter 2 000 €, mais au final, avaient peu de visibilité sur les évolutions.

Benjamin Suchar : Finalement, l'enjeu, ce n'est pas la rémunération en elle-même, c'est ce qu'il y a derrière. Ce n'est pas les chiffres, c'est après derrière.

Sandrine Dorbes : La rémunération n'est pas qu'une question d'argent, cher ami.

Benjamin Suchar : D'accord. Justement, tu l'as redit, il y a un vrai tabou. Et on dit en after work, les Français, ils peuvent parler de sexualité, mais ils ne peuvent pas parler de leur salaire. Ça vient d'où tout ça ?

Sandrine Dorbes : Ça vient de beaucoup de choses, de notre identité française. Ça vient de tout un héritage socio-culturel qu'on partage du moment où on a grandi en France. Ça vient déjà de l'héritage de l'aristocratie, finalement. Je vais faire des grands raccourcis. Celles et ceux qui nous écoutent et qui sont très à cheval sur la rigueur historique, accrochez-vous, ça va secouer parce qu'on ne m'a pas laissé trois heures. L'idée, c'est qu'à l'époque de l'Ancien Régime, travailler, c'était mal vu. Les nobles avaient une rente sans travailler. Du coup, quelqu'un qui a de l'argent et qui vit avec du luxe, c'est un peu douteux d'où il a cet argent. On a un sujet culturel autour de la religion catholique qui est certes plus le sujet qui est sur la table tout le temps, mais entre le baptême de Clovis et la séparation de l'Église et de l'État, on a quand même 1400 ans d'hégémonie sociale, politique, économique, théorique, philosophique, éducative et religieuse, bien sûr, de l'Église catholique. Et quand on lit la Bible, je ne fais pas ça tous les week-ends, mais il m'est arrivé de la feuilleter, il y a plein d'injonctions négatives à l'argent. Moi, ma Mon préférée, elle dit: Que ta vie ne soit pas guidée par la recherche de l'argent, contente-toi de ce que tu as. C'est beau ça. Tu n'as pas envie de lui mettre au-dessus de la machine un café dans la salle de pause, ça, avant les évaluations annuelles ? Contentez-vous de ce que vous avez. Il y a plein de choses comme ça qu'on porte dans l'héritage catholique, qu'on soit catholique ou pas, que nos parents soient catholiques ou pas, mais ça fait partie un peu du package de ce qu'on porte tous ensemble en tant que Français.

Benjamin Suchar : Et d'ailleurs que tu n'as pas dans la culture protestante.

Sandrine Dorbes : Non, parce que dans le protestantisme, on se réalise par le travail. Et plus on travaille, plus on gagne de l'argent, c'est que Dieu valide quelque part le projet. D'où la proportion que les Américains ont, eux, appareillé d'argent au travail. Dans la vie privée, il paraît que c'est un petit peu plus touchy, mais au travail, ils n'ont pas de problème à dire combien ils gagnent, parce que s'ils gagnent beaucoup, c'est qu'ils le méritent et qu'il n'y a pas de débat. Alors que chez nous, souvent, en conférence, je prends cet exemple, je dis: Voilà, là, je pourrais vous donner mon salaire maintenant. Je pourrais te donner mon salaire. Instinctivement, tout de suite, tu vas le comparer au tien. Ce n'est pas que tu es une mauvaise personne. Tu ne vas pas faire exprès, tu vas le comparer au tien.

Benjamin Suchar : Mais ça, tout le monde, même les Américains.

Sandrine Dorbes : Évidemment. Mais en tant que Français, c'est si je te donne mon salaire et que je gagne la même chose, voire plus que toi, tu vas avoir des doutes. Parce que c'est normal, compte tenu de mon âge, de ma carrière, de mon impact sur la société, est-ce que c'est normal que je gagne autant ? Si je gagne moins, là, tu vas te dire: Ça va, ce qu'elle fait, ce n'est pas dingo. Et souvent, on me dit: Les jeunes générations, ils n'ont pas ce sujet-là. Alors c'est hyper intéressant parce que les jeunes, les moins de 30 ans, dirons-nous, effectivement, ils parlent de rémunération plus facilement en entreprise, mais ils n'ont pas chopé le truc émotionnel.

Benjamin Suchar : Mais aussi, il faut se dire, jeunes générations, mais aussi, ce n'est pas la même chose quand tu commences ta carrière. Oui. Parce que tout le monde est à peu près dans les niveaux équivalents. Donc, c'est encore plus facile peut-être quand tu es jeune, non ?

Sandrine Dorbes : C'est peut-être un peu plus facile, mais Je me parlais avec une jeune femme. En plus, elle était apprentie, elle a une grille de salaire qui est quand même bien définie, c'est plus facile de parler de salaire quand il y a une grille qui est bien définie. Et elle me disait qu'elle parle de salaire au boulot. En même temps, il y a une grille. Elle parle de salaire en famille. Ok. Elle parle de salaire avec ses amis. Mais elle met un petit temps de pause quand même, parce que les amis, ce n'est pas si facile que ça. Et donc je me suis dit: Mais d'où vient ce petit temps de pause ? Et elle me dit: Non, mais il y a des amis avec qui je veux pas en parler. Je dis: Tiens, à qui on n'en parle pas ? C'est qui ses copains à qui on parle pas d'argent ? Elle dit: En fait, j'ai des amis, eux, ils font leurs études en finance, ils sont aussi apprentis, donc ils ont aussi un salaire. Ils gagnent plus que moi et je ne veux pas qu'ils pensent que ce que je fais, ce n'est pas bien. Ils sont capables d'en parler, mais toujours pas capables de détecter que quand on parle de rémunération ou d'argent, on parle d'autre chose. Et plus les écarts sont importants, plus c'est difficile.

Benjamin Suchar : Oui. C'est pour ça que c'est difficile, probablement, non pas le même poste, mais entre le CEO et la personne le moins payée, c'est aussi important de pouvoir avoir aussi cette discussion et que ça soit transparent au sein de l'entreprise ?

Sandrine Dorbes : Ça, ça dépend des cultures d'entreprises. Je ne suis pas sûr que ce soient les montants qui soient toujours très... C'est marrant, c'est la deuxième fois qu'on me parle de rémunération des dirigeants cette semaine. C'est des dirigeants qui ont les souhaits sur la table. Hasard, je ne pense pas. Mais il y a toujours un fantasme sur combien gagne le patron. Dans une entreprise, j'avais fait leur politique de rémunération et les deux dirigeants, c'était une petite boîte, c'était 60. Les deux dirigeants devaient présenter la politique de rémunération à leur équipe et la grille de salaire. Je prends des nouvelles, ils me disent: Ça ne s'est pas bien passé du tout. Ils me font la liste des questions dérangeantes qui ont été posées lors de cette session. Vu la teneur des questions, je me dis: OK, je vous propose, moi, de venir. En fait, on refait une session, mais c'est moi qui la fais. Par contre, c'est moi qui l'anime, c'est moi qui explique. Les deux dirigeants ont accepté et puis ils étaient occupés, donc ils sont allés faire autre chose. Ils ont profité pour prendre des calls. Ce qui n'était pas prévu au départ. C'était vraiment le hasard que ce jour-là, à ce moment-là, finalement, ils ont décidé d'aller faire autre chose. Les collaborateurs sont très calmes, posent des questions très polies, Je me suis dit: Très attendu. J'y allais un peu en transpirant et je me suis dit: Finalement, tout se passe bien. Et au bout d'un moment, c'est une personne qui était à distance. Il y avait cinq personnes à distance. Une personne à distance ose poser la question qui a fait pousser un cri de soulagement dans l'assistance. Il n'y a pas le salaire des dirigeants dans la grille. Il n'y a pas le salaire des dirigeants dans la grille. Et en fait, je me dis: En fait, toutes ces questions un peu détournées que les gens posaient, c'est parce qu'ils ne connaissaient pas le salaire des dirigeants et qu'ils les soupçonnaient, quelque part, de se gaver sur le dos de l'entreprise.

Benjamin Suchar : Quand il y a une transparence, tu ne peux pas faire la transparence que pour une partie des salariés.

Sandrine Dorbes : Est-ce qu'il faut faire la transparence sur la rémunération des dirigeants ? Dans un monde idéal, moi, je suis pour. Maintenant, si les dirigeants ne sont pas OK, il ne faut surtout pas y aller parce qu'il n'y a rien de pire que de faire quelque chose contraint et forcé et en n'étant pas prêt.

Benjamin Suchar : Mais alors, qu'est-ce qui s'est passé dans ton exemple ?

Sandrine Dorbes : Oui, effectivement, il n'y a pas l'heure salariale. En fait, un des deux dirigeants était revenu et il a entendu la question. Donc, il a expliqué, il leur a dit clairement combien il gagnait et que Il a expliqué comment était définie sa rémunération, mais à tort ou à raison, dans cette entreprise, il y avait une suspicion que quelque part, les patrons se surpayaient ou en tout cas, récupéraient des choses. Je ne sais pas d'où ça vient, mais parfois, il y a des suspicions et c'est ça qu'il faut plus adresser que donner les chiffres bruts.

Benjamin Suchar : Très bien, parce que ça veut dire que certainement, ça résulte de quelque chose et ça, il faut pouvoir le résoudre. Mais donc, rendre visible les salaires, c'est rendre finalement les choses plus justes ou rendre les gens plus jaloux.

Sandrine Dorbes : L'est de mon capitaine. Il n'est pas question de rendre visibles les salaires, parce qu'on parle vraiment de stats. Ce que la directive, elle nous impose, c'est de produire des moyennes à post-équivalent. Maintenant, la transparence, est-ce qu'on veut en faire un outil, ce qu'elle est, ou est-ce qu'on va en faire une règle ? Il y a quelques années, on m'avait interrogé sur la grille, la grille de salaire. Il faut faire une grille de salaire, et puis la grille de salaire, elle nous bloque, et puis on ne peut rien faire, parce que notre grille de La grille de salaire est un outil au service du stratégie RH. Si l'outil est plus adapté, on le change. La transparence des salaires, si on en fait un outil au service de la cohésion, au service de la confiance, au service de la performance, ça peut avoir des super résultats. Si on décide d'en faire une contrainte et de dire d'après la synchrosyme de transparence, on ne peut plus rien faire, parce que si je fais ça, il va falloir que j'explique à l'équipe que lui, je vais mieux le payer parce qu'il est plus performant, mais je n'ai pas envie de leur dire parce qu'après, il va me faire la gueule. Là, ça va être compliqué. Donc ça peut être quelque chose de très positif, ça demande du taf. Ça peut être quelque chose de très positif si on s'en saisit et qu'on fait les choses correctement. Ça peut être quelque chose d'assez néfaste si on décide de lui coller, de la rendre responsable des décisions qu'on prend.

Benjamin Suchar : Je comprends. Alors, tu dis souvent que finalement, c'est la prime à la négo qui crée des inégalités, qu'on en a un petit peu parlé, mais c'est les personnes qui savent le mieux négocier qui vont réussir à avoir les meilleurs salaires. Tu crois vraiment que la rémunération, ça reflète vraiment cette aisance à négocier plus que la valeur travail ?

Sandrine Dorbes : Moi, je pense. Quand j'étais plus jeune, que j'étais jeune spécialiste en rémunération et que des collaborateurs, collaboratrices disaient: De toute façon, la rémunération, il n'y a que ceux qui demandent qui obtiennent, je me disais: Quand même, les gens, ils exagèrent parce qu'il y a des politiques, il y a des règles, on en est garants. Avec le temps qui passe, je me rends compte: Non, c'est vrai, en fait. Il n'y a que ceux qui demandent. On a plus de chances d'obtenir quand on demande. Et quand tu regardes les mécanismes en entreprise, c'est assez logique. Tu es un manager, tu as un petit budget, parce que vu la conjoncture n'est pas dingo. Tu as une personne, elle vient toutes les semaines te dire à quel point elle est super, à quel point elle, elle a fait des trucs incroyables et à quel point elle le mérite. Tu vas lui filer son augmentation parce que comme ça, tu vas t'en débarrasser quelques semaines. Et en plus, tu as plein de bonnes raisons de lui donner l'augmentation. Elle est super, elle t'a fait sa promotion, elle t'a fait le marketing, elle t'a donné son communiqué de presse. Donc, tu as déjà tous les éléments de langage. Je veux dire, j'augmente cette personne-là avec mon tout petit budget parce qu'elle est super. Elle est super. Donc, je suis même pas en train de faire un truc horrible. Alors que si tu t'étais posé en regardant les membres de l'équipe un par un, peut-être que tu l'aurais pas mis en top un, peut-être en top deux, en top trois.

Benjamin Suchar : Donc, ce que tu dis, c'est que la transparence, finalement, ça va avoir un impact sur le courage managérial.

Sandrine Dorbes : Absolument. Et c'est là où dans une conférence, il y avait un monsieur qui avait travaillé longtemps chez Arthur Andersen. Et donc un cabinet de conseil à culture très américaine. Et il disait: Chez nous, la transparence était de rigueur et les managers devaient expliquer leurs décisions. Au moment des augmentations et au moment des bonus, il disait: Avec toute l'équipe, on se On disait qu'on y en avait eu. Et si on était celle ou celui qui avait eu le moins, on allait voir le manager, on lui demandait des explications et le manager devait expliquer de manière très objective pourquoi est-ce qu'on avait eu moins que les autres. Et cette transparence-là avait permis à chacun, chacune de bien défendre ses intérêts, mais de l'autre côté, obliger les managers à être très rigoureux et très objectifs.

Benjamin Suchar : Mais alors, est-ce qu'il ne faudrait pas, finalement, aussi coacher les gens pour aller être capable de pouvoir parler d'augmentation ?

Sandrine Dorbes : Moi, ce en quoi je crois, c'est un, il faut définir des politiques de rémunération, donc un ensemble de règles qui expliquent comment définir les salaires et comment ils évoluent dans le temps. Ça, ensuite, il faut que les RH de terrain se l'approprient parce qu'en fonction de la taille des entreprises, tu as des RH qui peuvent être très éloignés de la tête pensante, mais sur le terrain, tout le temps, en première ligne avec les collaborateurs, collaboratrices, ce n'est pas toujours équipé pour répondre aux questions. Il faut former les managers à répondre à ces questions et ensuite, il faut former les équipes, dire: Voilà les règles chez nous, voilà comment la rémunération, elle fonctionne. Et ça, il faut le faire de mon point de vue, très régulièrement, parce qu'on est tous et toutes un peu de mauvaise foi là-dessus. Les RH me disent toujours: Mais ça, on l'a déjà fait. La politique, on l'a définie. Il y a quelqu'un qui a eu le culot de me dire: Et elle existe depuis 17 ans. D'où Jésus, votre politique est presque majeure. Il ne faut pas qu'on fasse la fête. On a une politique, elle est sur l'intranet, on a expliqué les règles, on a un BSI, les gens, ils ont toutes les réponses qu'ils veulent, ce qui est un peu de mauvaise foi. Et de l'autre côté, les collaborateurs, collaboratrices: Mais nous, on est au courant de rien, on a accès à rien. Donc, puisqu'on est tous et toutes de mauvaise foi, forçons-nous à faire ce boulot-là à s'assurer que les règles, elles ont encore du sens. Ça fait 17 ans qu'on a la même politique et peut-être le temps de regarder s'il n'y a pas quelque chose à ajuster. Et ensuite d'ouvrir le dialogue avec les équipes. Au début, ça fait hyper peur, la transparence. Une fois qu'on est dedans, une fois qu'on a fait ce travail... En fait, ce qui est exigeant, c'est l'entrée. Il y a un coup d'entrée qui est un peu lourd, le fait de définir les règles et de se forcer à en parler. Mais une fois qu'on le fait, on est assez ferme sur ses appuis, assez solide sur ses appuis pour encaisser les questions. Et ensuite, il y a le côté un peu émotionnel qui n'est pas facile à gérer, mais c'est OK de de dire à quelqu'un: Écoute, les règles dans l'entreprise, c'est celles-ci. J'entends que ça ne te convient pas. Malheureusement, les règles qu'on applique à tout le monde, c'est celles-là.

Benjamin Suchar : Moi, ce que j'entends dans ce que tu dis, c'est que finalement, la transparence ou en tout cas, la structuration d'une politique salariale, c'est la conséquence de tout un travail RH beaucoup plus général et générique que tu dois faire en entreprise pour donner de la vision, de la visibilité et finalement de permettre aux collaborateurs de mieux comprendre leur place et où est-ce qu'ils peuvent aller.

Sandrine Dorbes : Absolument.

Benjamin Suchar : Très bien. On va parler un petit peu de la directive, la directive européenne. Je te posais la question de savoir est-ce que cette directive, elle va avoir un impact pour toutes les entreprises de la même manière ? Est-ce qu'il y a des entreprises qui sont un peu mieux préparées que d'autres ? Est-ce que les startups aujourd'hui, finalement, sont plus en avance que les grands groupes ? Et tu me répondais pas du tout, c'est-à-dire ?

Sandrine Dorbes : Pas du tout. Il y a déjà une idée reçue qu'il faut écarter. Cette directive, elle va s'appliquer à toutes les entreprises, même quand on est une petite de l'entreprise. La seule exigence de taille, c'est sur les reportings. La directive, elle a huit volets. Les huit volets vont s'appliquer à tout le monde, sauf celui du reporting qui vont s'appliquer aux entreprises de plus de 50 salariés. C'est comme ça à faire, 50 ? Mine de rien. Ça va vite. Donc déjà, elle va s'appliquer à tout le monde. Ensuite, il y a parfois une légende qui voudrait que dans les grands groupes, comme ils ont des équipes RH assez costauds, qui sont bien équipés, qui ont des outils, pour eux, la C'est-à-dire que l'expérience, ça va être assez facile. Mais ce n'est pas le cas. D'autant que dans les grands groupes, il y a une culture de la mobilité, quelque part, dans la promesse employeur des grands groupes, c'est aussi...

Benjamin Suchar : Je veux dire de changer de poste ?

Sandrine Dorbes : Oui. J'ai Quand tu rentres chez AXA comme conseiller clientèle, peut-être que dans 5 ans, dans 10 ans, dans 15 ans, tu vas faire un autre métier et tu vas pouvoir faire toute ta carrière chez AXA en ayant fait des métiers différents. Du coup, évidemment, peut-être qu'à 45 ans, tu vas prendre un poste de junior, mais ton salaire qui reflète ton historique. Et donc ça, c'est tout un sujet à traiter qui est quand même assez touchy. Autre légende, dans les startups, il y a cette culture de la transparence et donc pour elle, ça va être facile. Ce qui est facile dans les startups, c'est de se mettre à la transparence dans le sens où il y a encore peu d'historique, même si on en a déjà. Il y a peu d'historique, il y a une culture de l'agilité. Donc, on peut mettre des choses en place.

Benjamin Suchar : Et changer les choses plus rapidement.

Sandrine Dorbes : Par contre, dans la transparence, une fois de plus, on parle d'argent, Il y a un volet émotionnel qui est fort. La transparence, c'est lâcher une partie du pouvoir. Et on n'a pas toujours envie de lâcher cette petite partie du pouvoir. En off, je vais te donner l'exemple de deux entreprises que j'avais suivies récemment, pas il y a 5 ans, pas il y a 10 ans, non, récemment, qui étaient OK pour publier les grilles de salaire. Donc chacun, chacune pouvait aller voir combien un responsable marketing de tel niveau pouvait gagner. Par contre, ce qui était très obscure, c'était ce qu'il y avait derrière les niveaux. Donc au final, on avait sa rémunération, on avait la rémunération du niveau du dessus. Mais alors, qu'est-ce qui définit mon niveau ? Qu'est-ce qu'on attend de moi très concrètement ? Et qu'est-ce qu'on attend de moi pour passer au niveau du dessus ? Ça, transparence totale. Et ces deux entreprises-là me disaient: Non, ça, on ne veut pas le donner. Ce qui est marrant, c'est qu'en réalité, elle se pensait transparente. Il y a plein d'entreprises qui se disent: C'est bon, on a une grille, on est transparent. Alors que non, pas du tout.

Benjamin Suchar : Non. La transparence, c'est comment mon salaire,

Sandrine Dorbes : il est défini et comment il va évoluer dans le temps.

Benjamin Suchar : Très clair. Il y a cinq points clés dans cette directive. J'aimerais les reprendre et qu'on le commente ensemble. Premier point avant l'embauche, c'est le flou qui est fini. Les offres d'emploi devront afficher un salaire ou en tout cas une fourchette claire. Ça veut dire que pendant des années, certains RH ont entretenu le secret uniquement pour négocier à la baisse ?

Sandrine Dorbes : Pas que. Pas que pour négocier à la baisse, mais parfois, moi, j'ai des clients qui me disaient: On se laisse un champ d'opportunité. C'est-à-dire qu'on a une offre d'emploi, il y a peut-être des gens qu'on n'a pas ciblés au départ qui vont postuler et on va se dire: Cette personne est la bonne personne. On n'aurait pas pensé prendre quelqu'un d'aussi senior et donc de payer la personne aussi cher, mais en fait, coup de cœur, idée, on y va. Et inversement, parfois, on se dit: Ouh là là, lui, il a postulé ou elle a postulé alors qu'elle est très junior, mais en fait, on entretient, on sent qu'il y a du répondant, il y a une énorme potentielle, on le prend quand même. Tout à fait. Alors que oui, Si on met une fourchette cohérente, si on met entre 50 et 55, la très junior, elle ne va pas postuler et la très senior non plus. Alors que potentiellement... Mais ça, c'est comme ce qu'on disait tout à l'heure, ça reste une minorité de cas. Dans la majorité de cas, les gens ne savent pas pour combien ils jouent et donc ils ont qu'ils ont du mal à défendre leur intérêt. Donc, ce n'est pas que pour cacher, c'est aussi parfois parce qu'en interne, si demain, tu dois recruter un comptable et que tu n'as pas, déjà, de travailler la transparence en interne, tu mets combien Tu as un comptable historique qui est là depuis 15 ans, qu'on a augmenté un petit peu parce que c'est toujours moins facile d'augmenter en interne que quand on est à l'extérieur, qui est un peu au ras des pâquerettes. Mais bon, tant qu'il ne part pas, on croise les doigts, on est notre propre assureur, comme on m'a déjà dit. Et tu as quelqu'un qui est rentré il n'y a pas longtemps, qui est très élevé. Tu mets quoi comme fourchette ?

Benjamin Suchar : Le risque, ce n'est pas de mettre des fourchettes immenses, d'avoir un diable entre 50 et 154, par exemple ?

Sandrine Dorbes : Ça, il y en a qui ont essayé. Il faut faire attention. Parce que souvent, on me dit: Oui, mais Netflix, ils l'ont fait. Oui, mais vous n'avez pas la marque employeur de Netflix. Netflix le fait, on postule quand même parce qu'on veut travailler chez Netflix. La cogip le fait. On fait un screenshot et on le met sur les réseaux sociaux en disant: La co-gip se fout de la gueule du monde. Donc attention avec ce... Je comprends la tentation de se dire: On va mettre une fourchette très large, ça va être très mal reçu par le public et on peut avoir un bad buzz à gérer qui n'est pas attendu. Ou des gens qui vont dire: Non, mais moi, je postule même pas parce que la fourchette, elle veut rien dire et donc on va me cacher des choses. Moi, ce que je constate, c'est que mes clients et les entreprises que je croise qui ne mettent pas le salaire, c'est parce qu'elles savent pas toujours combien mettre. Parce qu'en interne, c'est pas clair parce que l'externe, ce n'est pas clair, donc elles mettent pas combien. Puis après, elles font un peu au fil de l'eau, en fonction des prétentions des uns des autres, en fonction de ce que les gens ont déjà dans leur emploi précédent. Donc on a une idée du budget, mais parfois, on n'est pas sûr de ce qu'on veut mettre exactement. Et aussi, parfois, on pas à l'avoir à l'expliquer en interne. Toujours aux États-Unis, il y avait un tweet qui avait été assez drôle. C'était une nana qui avait fait un screenshot d'une offre d'emploi de son employeur avec une fourchette de salaire très au-dessus de ce qu'elle, elle avait. Et elle répond, elle commande cette photo en disant Mon entreprise est en train de recruter mon binôme pour faire la même chose que moi. J'envisage de démissionner pour postuler à mon job, parce que cette personne va gagner beaucoup plus d'argent que moi. Ça, on n'a pas envie de le traiter. Et pourtant, c'est un sujet. Je te prenais l'exemple des comptables parce que c'est un sujet que j'ai dans une entreprise que je suis en ce moment, où en ce moment, la cote des comptables sur le marché, elle est assez élevée. Qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on se passe d'un comptable et on continue de surcharger l'équipe ? Est-ce qu'on prend un comptable cher, mais l'équipe de la faire la gueule ? Est-ce qu'on augmente toute l'équipe, ce qui est exclu budgétairement et quand bien même, on le ferait ? Que va penser l'autre équipe ? Toutes ces questions, au moins, il faut se les poster avant et pas après.

Benjamin Suchar : Absolument. Tu sais, d'ailleurs, c'est intéressant parce que j'étais assez sceptique au début pour pouvoir mettre les offres d'embauche avec les salaires. C'est ce qu'on fait aujourd'hui chez WorkLife. Mais au début, j'avais une tentation de pouvoir, comme tu le dis, avoir quelqu'un de très senior comme quelqu'un avec beaucoup de potentiel et plus junior. Ce que je me suis rendu compte, c'est qu'il y avait beaucoup de candidats qui appréciaient et qui, d'ailleurs, nous ont dit: En fait, ça devient une offre différenciante. En revanche, on l'aura plus bientôt puisque toutes les offres seront identiques. Donc, je sais pas si ça fera une vraie différence.

Sandrine Dorbes : Ce qui va changer à l'avenir, en tout cas, ce que je souhaite aux entreprises, puisqu'on va tous et toutes publier les salaires. Il va y avoir un petit effet de marché, on va un peu s'ajuster les uns les autres et finalement, le salaire sera plus le différenciant. Qu'est-ce qu'on vend d'autre ? Quelle histoire on raconte d'autre ? Déjà, qu'est-ce qu'on propose d'autre ? Déjà, au-delà du salaire fixe, quel package global on propose ? Parfois, il y a des entreprises qui proposent plein de choses et qui le mettent nulle part. Et parfois, il y a des salariés qui disent... Quelqu'un me disait l'autre jour: J'ai vu telle boîte, ils prennent 100% de la mutuelle, mais ça, c'est la base. Non, ce n'est pas la base. La base, c'est 50%.

Benjamin Suchar : Tout à fait. L'idée de mettre un bilan social individuel où tu vois l'ensemble de tes bénéfites, ce n'est pas la même chose. Si tu as du titre restaurant, du forfait mobilité durable, une indemnité télétravail, une mutuelle payée à 100%, à la fin, ça commence à peser réellement sur ton salaire. Et aujourd'hui, trop peu d'entreprises tirent parti de ces bénéfites qu'elles ont pour pouvoir la mettre en avant dans leur offre d'embauche. Ça, nous, c'est ce qu'on observe tout le temps chez WorkLife. On voit que les entreprises ont du mal à mettre en avant ces dispositifs. Tu as raison à l'embauche, mais aussi tout au long de la vie du salarié. Et avoir un BSI, un bilan social individuel simple d'accès, pouvoir voir à un endroit où sont tes avantages, c'est évidemment quelque chose qui est absolument clé et qui permet, quand on se pose la question d'aller voir ailleurs, de se souvenir aussi de tout ce qu'on peut avoir au sein de son entreprise.

Sandrine Dorbes : Cette directive, elle va un peu nous pousser vers là, de mon point de vue. Parce que d'un côté, au moment du recrutement, il va falloir qu'on donne une fourchette complète, mais ensuite, pendant la vie en entreprise, chacun, chacune va pouvoir demander les informations sur son positionnement salarial, donc pourquoi est-ce que je suis à ce niveau-là, et aussi la moyenne à post-équivalent avec le découpage homme-femme. Donc, on va avoir ce benchmark interne. On ne connaîtra pas le salaire des collègues, mais on saura à post-équivalent quelle est la moyenne et donc poser des questions. Et peut-être qu'il y a une très bonne raison pour qu'on soit en dessous de la moyenne.

Benjamin Suchar : Tout à fait. Parce que si tout le monde est à la moyenne, il y a plus de moyenne.

Sandrine Dorbes : Il y a plus de moyenne. Ça va pousser les employeurs à donner des informations et à expliquer pourquoi est-ce qu'on est en dessous de la Est-ce que c'est objectif ou pas ? Et ça, ça va inclure aussi les avantages salariés ? Tout ce qui est individualisable.

Benjamin Suchar : Tout ce qui est individualisable.

Sandrine Dorbes : Je vais te donner un exemple. J'ai une cliente, elle a une politique voiture. La politique voiture, elle est publique, elle est connue dans l'entreprise. On ne peut pas y déroger, c'est impossible. Donc ça, on ne va pas le mettre dans le reporting. J'en ai une autre, politique voiture, elle est secrète et c'est à la tête du client. Ça, on va être obligé de le mettre parce que c'est individualisé. C'est en fonction de la proportion de chacun, chacune à négocier. Tout ce qui est individualisable, il faudra qu'on le mette dans le reporting pour montrer quelles sont les vraies différences de salaire. Tout ce qui est collectif...

Benjamin Suchar : Oui, mais l'entreprise a tout intérêt à rajouter tout ce qui est collectif aussi.

Sandrine Dorbes : Elle peut. Ça permettra d'avoir une vraie vision de la rémunération. En revanche, ça ne fera pas de différence entre les pairs.

Benjamin Suchar : Oui, ce ne sera pas un élément différenciant. Et tu vois, ça me rappelle une anecdote. J'avais rencontré une startup, parce que tu parlais des startups tout à l'heure, qui me disait: Nous, un, on est transparent, parce que la grille, elle est sur le notion, et deux, on est hyper équitable. Cette grille, on l'applique tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je te mets au défi de me trouver une petite extraction de paye. Plus tard, je vois qu'il y a des grosses différences sur la rémunération globale. En fait, certes, les salaires dépendaient de la grille, mais si on demandait plus, on pouvait avoir un bonus garanti. Donc, pour des personnes qui venaient...

Benjamin Suchar : Négocier, là aussi.

Sandrine Dorbes : Négocier, il y avait des bonus garantis qui tombaient tous les ans en complément du salaire. Donc, les salaires, c'était les mêmes pour tout le monde, mais il y avait des choses qui se passaient en coulisses. Et ça, ça tombe sous le coup de la directive ou ça doit faire l'objet d'un ou en tout cas, quand on demande la stat de la moyenne des salaires à poste équivalent, ça, ça doit sortir de la stat. Ça pose des questions aussi assez philosophiques et intéressantes. Par exemple, on parlait d'avantages salariés. Il se trouve que chez WorkLife, on a donné un montant d'avantages supérieur pour les parents dans l'avantage de services à la personne. Donc, on s'est posé la question de savoir si ça allait finalement être facilement accepté ou si le fait d'avoir un montant différent pour les parents et les non-parents, ça allait remettre en cause le principe d'égalité. Et en fait, ça dépend beaucoup de la sensibilité des personnes.

Bénédicte Tilloy : Ça dépend de la sensibilité des personnes. Et moi, j'ai envie de te dire, comme mes clients à moi, ce sont les entreprises, ça doit dépendre de la culture de l'entreprise et de ce qu'on veut en faire. Il y a un sujet sur les politiques de rémunération, je trouve, où on est partis sur des politiques de rémunération, elles se ressemblent toutes un peu. On fait tous la même chose. Il n'y a pas beaucoup de choses différenciantes. Ce qui est intéressant, c'est quand on a un vrai parti pris et quand on l'assume. Je te donne un exemple. J'avais une entreprise où il y avait un sujet entre deux collaborateurs, deux personnes qui font le même job. Ils sont sur un poste d'opérateur, ils font le même boulot, ils sont interchangeables. Il y a Michel, ça fait 20 ans qu'il est dans la boite et Michel, il est payé plus cher que Kevin, qui est dans la boite depuis un an et demi. Parce que Michel, il a une prime d'ancienneté. Et Kevin trouve ça injuste de faire le même boulot que Michel et de ne pas avoir la même rémunération. Et le dirigeant, son point de vue, c'est: Mais c'est injuste. Ce serait injuste qu'il disait la même chose. Michel, ça fait 20 ans qu'il est là. Et moi, dans mon monde, l'ancienneté, ça se valorise. Oui, en fait, il faut être très clair sur ce qu'on va faire et expliquer à Kevin: Dans cette entreprise, nous, on valorise l'ancienneté. C'est comme ça. Tu prends, tu ne prends pas, mais la règle, c'est celle-là et nous, on l'assume.

Benjamin Suchar : D'autres points de la directive, c'est la correction des écarts. Si un écart injustifié dépasse 5%, l'entreprise doit corriger avec les représentants du personnel. Donc en fait, les CSE vont se transformer en revue de la politique salariale ?

Sandrine Dorbes : C'est un peu le risque. C'est le risque, on ne va pas se mentir. D'où l'intérêt aussi de les inclure dans la formation. Tout à l'heure, je te parlais de former les RH, former les managers, parler aux collaborateurs. Je pense qu'il faut aussi parler aux partenaires sociaux et leur expliquer comment ça fonctionne et être assez clair sur les ressources qu'a l'entreprise et ses orientations stratégiques. En fonction des entreprises, en fonction du dialogue social, ça peut être un peu chaud.

Benjamin Suchar : Et du coup, un autre point, c'est les sanctions. Si une discrimination est prouvée, c'est à l'employeur de démontrer qu'il n'y en a pas. Ça ne va pas virer au bras de fer juridique, tout ça ?

Sandrine Dorbes : Avant 1897 ou 1898, j'ai prévenu pour les délais de l'histoire, quand quelqu'un avait un accident du travail, il devait prouver que c'était à cause de son employeur. Il y a une loi qui a décidé que non, quand quelqu'un a un accident du travail, c'est à l'employeur de prouver qu'il a tout bien fait comme il faut pour protéger ses salariés. On tombe sur la même logique. Finalement, maintenant, quand une personne se sent discriminée, ce n'est plus à lui ou à elle de prouver qu'il l'est, c'est à l'entreprise de démontrer que non, regardez tout ce qu'on a mis en place. Regardez notre belle politique, regardez tous les éléments de communication, regardez mes évaluations. Les évaluations qui disent que cette personne, elle n'a pas été hyper bonne ces dernières années et que c'est pour ça qu'on ne l'a pas augmentée.

Benjamin Suchar : Très clair. Je te propose maintenant de faire un petit tour du monde pour voir quelques pratiques salariales et j'aimerais savoir avoir ton avis sur ces quelques pays. Le premier, tu t'en doutes, tu le connais probablement, c'est les pays nordiques. En Suède ou en Norvège, n'importe qui peut demander à avoir le de n'importe qui, c'est public. Résultat, il y a peu d'inégalités et un vrai climat de confiance. Mais il y a certaines personnes qui vont un peu comparer ça à un Big Brother. Finalement, on va pouvoir surveiller l'autre. Il y a une pression sociale Ça tue aussi les négociations individuelles. Donc, est-ce que cette transparence totale façon nordique, c'est un flicage permanent ou la société de la confiance ?

Sandrine Dorbes : Tuer la négociation individuelle, c'est drôle. Il y a deux personnes qui m'ont parlé de ça récemment. Il y a un homme qui était assez véhémant pour le coup, et qui me disait: C'est injuste cette directive parce que moi, toute ma vie, j'ai négocié pour moi. Je me suis battu pour défendre mes intérêts. Ce n'est pas juste que je sois payé comme les autres. Question de point de vue. Je comprends que dans son monde, ce ne soit pas juste. Dans le monde de la directive, ce n'est pas l'idée. Et une femme qui, pour le coup, a été moins véhémante, qui dit: Écoute, moi, ça ne m'arrange pas du tout cette directive. Parce que moi, je négocie tous les ans avec mon patron. Et en fait, quand il va être obligé de rendre des comptes aux autres personnes, j'ai peur qu'il me donne plus autant. Là aussi, tant mieux pour elle, tant mieux pour lui s'ils ont réussi à tirer leur épingle du jeu, mais qu'il perde un avantage non-objectif par rapport aux autres, ça me met pas plus que ça. Je comprends. Très bien. J'accueille, mais je...

Benjamin Suchar : Mais finalement, tu penses que le modèle nordique pourrait s'appliquer en France ?

Sandrine Dorbes : Non. Non, parce que déjà, on est sur deux cultures très différentes. Ça ne va pas s'appliquer en France. En France, on ne va pas dévoiler les salaires individuels. On va rester sur des moyennes. Si jamais je demande une moyenne avec la ventilation homme-femme et il n'y a qu'un homme à poste équivalent, je ne reçois pas la donnée. C'est les partenaires sociaux qui vont la recevoir et qui vont devoir vérifier qu'il n'y a pas quelque chose de flagrant. Mais il n'est pas question de dévoiler les salaires des uns des autres aux salariés.

Benjamin Suchar : Très clair. Et justement, puisque tu parles d'écart femmes/hommes, au Royaume-Uni, il y a une obligation pour les grandes entreprises de publier chaque année les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Ça a mis le sujet sur la table, ça a créé une vraie pression publique, mais la publication seule n'a rien changé Il y a beaucoup d'écarts qui persistent et certaines boites publient en retard sans correctif. Donc, finalement, la publication annuelle, ces fameux reportings, est-ce que c'est du greenwashing social ? Et comment éviter que cette transparence, ça ne devient pas simplement Ça ne devienne pas simplement un exercice de communication.

Sandrine Dorbes : Ça, c'est une bonne question. Les autres étaient bien aussi. Merci. En France, on a déjà l'index égalité hommes-femmes. L'index égalité hommes-femmes qui, certes, n'a peut-être pas révolutionné le visage de l'équité en France. Néanmoins, il y a des entreprises qui, devant afficher un score, ont fait des efforts pour améliorer le score. Est-ce qu'elles ont fait en sorte d'améliorer l'équité en interne ? C'est un autre sujet, mais les scores ont été améliorés. Le reporting, c'est pénible, mais ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas. Et la directive prévoit qu'à post-équivalent, on publie les moyennes avec la ventilation homme-femme. Donc ça arrive. Moi, ce qui m'inquiète dans la directive, c'est justement le poids du contrôle. Parce que moi, je connais personne qui connaît quelqu'un qui a eu une amende sur l'index. Pourtant, il y en a des boîtes qui sont en dessous des 75 sur 100 et qui pourraient avoir une amende. Mais je n'ai jamais entendu aucune histoire de quelqu'un qui connaît quelqu'un dont la cousine bosse dans un centre d'affaires où il y a une entreprise qui Du coup, la question que je me pose, c'est: est-ce que vraiment, on contrôle l'index ? Et la question, c'est: est-ce que ce reporting qui est assez ambitieux, tel qu'il est défini par la directive et qui va s'appliquer très vite à toutes les entreprises de plus de 50 personnes, qui va vraiment le contrôler ?

Benjamin Suchar : Certaines directives ont complètement changé et défini différents des nouveaux postes dans les organisations. Je pense au RGPD, il y a aujourd'hui des gens qui sont spécialistes du RGPD en entreprise. C'est aussi pas mal de contraintes pour les entreprises. Mais est-ce que tu penses qu'il va y avoir des spécialistes, des écarts de de rémunération, en plus des compensation and benefit manager ?

Sandrine Dorbes : Écoute, moi, je viens du secteur bancaire. C'est peu connu, mais le secteur bancaire est très contrôlé, notamment du point de vue des rémunérations. Dans les banques, il y a des spécialistes, des super spécialistes de la réglementation bancaire pour traiter les sujets de rémunération. Donc oui, bien sûr, ça va susciter pas mal de travail et donc que des personnes travaillent dessus à temps plein. Ce qu'on ne voit pas, c'est cette directive, c'est vraiment la partie visite de l'iceberg. On parle des salaires, mais en fait, il y a tout ce qui est en dessous. Les salariés vont avoir le droit de demander les moyens d'un poste équivalent. La vision de la personne qui a écrit ça dans la directive et la vision de la plupart des salariés, c'est que la RH va recevoir la demande et va s'être comme dans les films américains. Elle va se retourner vers son ordinateur, elle va taper frénétiquement et la data, elle va sortir. On sait que ce n'est pas le cas. Quand on doit faire des reportings en entreprise, on fait ces petites extractions, on nettoie la base qu'on vient d'extraire, on fait les stats, on challenge les stats. Il y a toujours des trucs à corriger, ça prend du temps. Donc la partie salaire, oui, mais la partie data, elle est colossale. Et moi, j'ai des entreprises que j'accompagne qui, du coup, sont en train de se muscler sur la partie data. Elles ne sont pas prêtes là. Non. Il faut que des gens nettoient la data en permanence pour s'assurer que les reportings, on puisse les sortir correctement. On me dit: Ouais, mais les reportings, la plupart, c'est la DSN qui va la faire. Mais la DSN, c'est le même principe. J'avais un chef qui disait, je suis désolée, ce n'est pas élégant, mais c'est très parlant, shit in, shit out. Donc, si les données en paye, elles ne sont pas propres d'un point de vue des intitulés de postes, d'un point de vue des niveaux, il n'y a aucune raison que la DSN, enfin, que les reportings faits via la DSN soit propre aussi. Et tu vois, le sujet de la donnée, quand quelqu'un demande à la moyenne, la RH, elle aura deux mois pour la fournir. Deux mois, c'est énorme. Donc, si on est en retard d'une journée, les salariés vont vraiment penser qu'on se fout d'eux. Alors que nous, on sait que deux mois, c'est limite un pour fournir la donnée, mais les salariés ne vont pas comprendre qu'on mette plus de deux mois à fournir une donnée.

Benjamin Suchar : Très clair. Finalement, est-ce que cette transparence, ça ne va pas aussi permettre de valoriser les contributeurs individuels ? Parce que souvent, tu vois, tu auras une pyramide, les managers qui sont mieux payés que les managés. Finalement, on pourra aussi démontrer que certains managés qui n'ont pas de rôle de management peuvent avoir des plus gros salaires. Ça sera plus transparent et ça permettra aussi de valoriser.

Sandrine Dorbes : Enc'est en fonction de l'entreprise et de ce qu'elle veut mettre en place au service de sa stratégie RH, oui. Mais tout à l'heure, tu parlais de: On va tuer la négo, on va tuer la négo sur des sujets qui n'ont pas de valeur pour l'entreprise. Dire: Pour une entreprise, à moins que tu Tu recrutes des commerciaux. Mais qu'est-ce que ça apporte au poste que la personne, elle soit en capacité de négocier pour sa pomme ? Ce n'est pas ça que l'entreprise... Peut-être qu'il y a des entreprises qui valorisent ça. Et si c'est le cas, c'est OK à ce moment-là, de dire: Il faut le créer noir sur blanc. Dans notre entreprise, être capable de négocier pour soi, on le valorise et vous le valorisez, vous ne serez pas contrevenant la directive. Mais si on admet que non, ce n'est pas un argument objectif, les gens qui ne sont pas habitués à attirer la couverture à eux auront plus de clés en main pour défendre leurs intérêts. Et j'ai envie de dire, je suis désolée si ça fait un peu naïf, au service de l'entreprise.

Benjamin Suchar : Mais donc, demain, les managers, ils vont devoir aussi pouvoir et devoir expliquer les écarts de rémunération. Ça fait, comme tu l'as dit, très bien une charge émotionnelle supérieure. On ne va plus avoir de manager, non ?

Sandrine Dorbes : Ça, c'est un problème. C'est un problème parce que dans les entreprises que je traverse, les managers, ils sont parfois... Ils ne sont pas très courageux, courageuses, quel que soit le genre, mais je les trouve souvent un peu débordés, souvent peu équipés, pour plein de raisons. Mais moi, je trouve que la plupart du temps, ils n'ont même pas le temps de faire leur boulot de manager. C'est-à-dire qu'ils ont aussi une casquette opérationnelle que la banette, elle est bien chargée et que faire un travail de management, ce n'est pas ce qui a l'air de rapporter quelque chose en entreprise de manière très court terme. Et donc, on met un peu ça de côté, on fait du management quand on a le temps ou quand on est contraint. Typiquement, les entretiens Les entretiens annuels, c'est toujours un truc qui est hyper émotionnel, très chargé, que les managers détestent, qui prend toujours trois plombes pour un résultat qui n'est pas dingo. Parce que comme tu n'as pas envie de te fâcher avec ton équipe, tout le monde est à peu près OK. Et tout le monde va mettre dans les évals, va écrire que c'est OK. Et quand la RH, elle va voir ça, elle va dire: Benjamin, je ne comprends pas, tu m'avais dit qu'avec Olivier, ce n'était pas terrible. Non, alors oui, mais je lui ai dit. Je ne l'ai pas écrit parce que ça va, on n'est pas des bêtes, mais je te jure, je lui ai dit. Et ça fait partie de mon exberg parce que demain, Olivier, il dit: Mais moi, je suis discriminé. Comment tu prouves qu'il n'est juste pas performant, mais que ce n'est pas un sujet de discrimination puisqu'on a écrit partout ?

Benjamin Suchar : Ça doit être des fois dans l'entretien annuel. Il faut qu'on mette dans l'entretien annuel la réelle qu'on attend. Il n'y a pas que d'ailleurs de manière continue au sein de ton année. Il faut que dans la politique, on dise: Voilà ce qu'on attend des gens, vulgairement. Voilà ce qu'on attend des gens et que dans les entretiens, on relève vraiment les compteurs. Comme ça, quand une personne va dire: Moi, je suis discriminé, on peut dire: Non, tu n'es pas discriminé. Regarde, tu n'as pas été au top cette année, ce sera mieux l'année prochaine.

Benjamin Suchar : Très clair. On va passer à la C'est quoi la conséquence ? Mesquin ou malins. On va jouer un petit jeu. Je vais te proposer des mesures radicales sur la transparence du salaire que certaines entreprises pourraient mettre en place. Tu me dis si c'est mesquin, malin ou les deux. Première mesure: instaurer un coefficient régional dans la grille des salaires, 1,2 pour Paris, 0,8 pour Limoges, avec prime TGV incluse, et arriver à une parfaite égalité de rémunération pour gommer la perception liée au télétravail et à l'équité ou l'inéquité géographique. Mesquin, Malin ou les deux ?

Sandrine Dorbes : Malin. Moi, je n'ai pas de problème avec les coefficients régionaux du moment qu'on l'assume. Ce n'est pas un secret de se dire qu'à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Nantes maintenant, la vie est plus chère qu'à Melun, qu'à Chambourcy. Il y a des endroits où la vie coûte plus cher et si l'entreprise a envie de compenser ça, pour moi, c'est OK. Maintenant, comment est-ce qu'on l'assume ? Il faut juste le dire et l'assumer. Et compenser le télétravail, là aussi, c'est un vrai choix C'est de se dire: Est-ce qu'on croit au télétravail ou est-ce qu'on n'y croit pas ? Est-ce que le télétravail est un avantage ou pas ?

Benjamin Suchar : Organiser un speed dating géant dans l'entreprise où chacun dévoile sa rémunération en face à face pour passer rapidement cette étape inconfortable, mais nécessaire, et amorcer le travail pour réduire les inégalités.

Sandrine Dorbes : Le lancer en speed dating, moi, j'ai peur que ça génère plus de frustration qu'autre chose parce qu'une fois, dans une conférence, il y a un jeune homme, un étudiant, qui m'a demandé combien je gagnais. Je lui ai dit: Écoutez, je suis un peu chanchon parce que moi, ça fait trois quarts d'heure que je vous explique que la rémunération, c'est un sujet sensible. On n'aime pas en parler. Qu'est-ce qui n'était pas clair ? Il dit: Non, mais vous prenez la transparence et vous ne voulez pas être transparent. Donc votre non-réponse, c'est une réponse en soi. Moi, je peux parler de ma rémunération avec les gens qui font mon métier, que je connais un peu, avec qui j'ai un peu confiance et avec qui on partage un univers commun. Mais qu'est-ce que j'irais parler de ma rémunération à Christelle Delacontat lors d'un speed dating ?

Benjamin Suchar : Je comprends. Créer un index deC'est quoi ? C'est une transparence avec des badge premium pour les boîtes exemplaires, un classement annuel, des informations dans les journaux. Mesquin, Malin ou les deux ?

Sandrine Dorbes : Mesquin. Encore un label, encore un badge à acheter, encore une charge pour les entreprises, encore des reportings, encore des... Je trouve qu'on a du taf, on a beaucoup de boulot. Non, je ne serais pas sur le score.

Benjamin Suchar : On va passer à la séquence dystopie ou utopie. Tu as deux questions devant toi. Je te laisse choisir une carte et la montrer à la caméra.

Sandrine Dorbes : Utopie.

Benjamin Suchar : Utopie. Écoute, la directive européenne sur la transparence salariale a été pleinement adoptée, mais surtout, elle a été comprise comme une opportunité. Plutôt que d'imposer la peur, elle a ouvert un nouvel horizon, celui de la confiance partagée. Dans les entreprises, les salaires ne sont plus des secrets, mais des repères. Chaque collaborateur connaît la grille de sa fonction, les critères pour évoluer, les étapes à franchir. Au lieu des jalousies imaginaires en son adoption, c'est le dialogue qui s'installe. Comprendre pourquoi tel poste est payé plus, comment acquérir les compétences nécessaires pour y accéder, comment progresser ensemble. Les managers ne craignent plus d'être jugés. Ils expliquent, accompagnent, assument leurs décisions et les salariés ne sont plus condamnés aux soupçons. Ils savent, ils peuvent se projeter, ils ont confiance. La transparence devient Il y a alors un moteur d'équité, un accélérateur d'attractivité et une force d'engagement. Elle transforme l'entreprise en un lieu où la valeur n'est plus imposée de l'extérieur, mais co-construite par tous. Sandrine Dorbes, si ce futur devenait réalité, quel bénéfice profond vois-tu pour les entreprises, mais aussi pour la société tout entière ?

Sandrine Dorbes : Le bénéfice profond que moi, je vois, c'est que oui, cette directive, c'est la directive sur la transparence des salaires et que dans les mois à venir, les années à venir, on va beaucoup se parler de Mais à terme, on ne va plus parler de salaire. Si c'est une donnée qui est objective et publique, ce n'est plus un sujet. Parce que quand je viens à l'entretien, je sais exactement ce que tu vas me proposer. Mais en fait, on va enfin se parler des vrais sujets. Est-ce que l'entreprise et le projet m'intéressent ? Est-ce que je suis la bonne personne pour accompagner la croissance de l'entreprise ? Et on va arrêter de négocier 2 000 balles parce que j'y tiens, parce que j'ai l'impression que dès qu'on aura atteint ce niveau d'utopie, auquel moi, je crois, ceci dit, pas partout, parce que le sujet est plus complexe, malheureusement, mais il y a des entreprises où on va arriver à ce niveau de transparence. On va se parler d'autre chose que de salaire.

Benjamin Suchar : Et au-delà de l'entreprise, tu penses que ça peut avoir un impact sur la société ?

Sandrine Dorbes : Je ne suis pas sûre. On ne se dit pas: On est très différents des suédois parce qu'eux, ils parlent de leur salaire. Et les Américains, c'est pareil, c'est un peu anecdotique. Les Chinois aussi. Tout à l'heure, tu parlais pour les Français, c'est plus facile de parler de sexe que d'argent. C'était une Chinoise qui m'avait fait la remarque. Elle était impatriée en France et elle était très choquée. Un jour, un after work où il y a eu des pas des remarques graveleuses, mais des références au sexe. Elle était très, très choquée. Mais elle s'est dit: OK, maintenant, puisqu'on parle de sexe, je vais leur parler d'argent. Et elle dit: Là, j'ai vu que mes collègues étaient encore plus choqués que moi que j'ose leur parler de rémunération. Donc, je ne sais pas si ça va changer. Peut-être qu'on va prendre un peu plus confiance en nous et on va arrêter de se comparer et de se juger, s'auto juger parfois, et que la rémunération sera juste un élément parmi d'autres. J'avais une amie qui me racontait dans une soirée, à un moment donné, il y a eu un tour de table très bizarre, on ne va pas aux mêmes soirées, où les gens ont commencé à se dire combien ils gagnaient. Et quand c'est arrivé, elle n'a pas osé leur dire, comme elle arrivait en plus à la fin où tout le monde avait donné son salaire, elle n'a pas osé dire: Je n'ai vraiment pas envie, ça me met mal à l'aise. Elle a dit combien elle gagnait et il se trouve que c'est elle qui gagnait le moins de la soirée, le lendemain, elle était très mal. Elle se sentait humiliée. C'était un peu extrême, mais peut-être que, pour revenir à ce que tu disais, dans un futur, elle le sentira moins comme ça.

Benjamin Suchar : Pour conclure, je prends une La phrase que tu as dit. Tu as dit: La rémunération n'est pas seulement une question d'argent, c'est une question de reconnaissance, de dignité, de sens. C'est une phrase de toi. Finalement, le problème, ce n'est pas qu'on gagne trop peu, mais que les autres gagnent trop.

Sandrine Dorbes : Quand je dis que la rémunération n'est pas qu'une question d'argent, je sous-entends deux choses. La première, qu'on soit dirigeant, dirigeante ou qu'on soit salarié, quand on pense rémunération, on pense à salaire. Alors que la rémunération, c'est tout ce qui coûte quelque chose à l'entreprise et qui rapporte quelque chose aux salariés. Donc, la plupart du temps, on est focus sur son salaire, on oublie tout le reste. Les avantages, sonnant et trébuchant, mais aussi les autres avantages sur le cadre de travail, le temps qu'on peut mettre à notre disposition. J'accompagne une entreprise en ce moment qui est dans l'économie sociale et solidaire, qui a très peu de moyens. Elle, ce qu'elle offre à ses salariés, c'est un, du sens, deux, du temps.

Benjamin Suchar : Le mécénat de compétences.

Sandrine Dorbes : Non, pas forcément le mécénat de compétences, mais il y a des gens qui travaillent à 80% et c'est très allégé. Les horaires de travail peuvent être assouplis en fonction des contraintes des unes des autres. C'est ça qui est intéressant, c'est que dans cette entreprise, des salariés disent: Oui, OK, on n'est pas super bien payés, mais par contre, nos horaires sont assez flexibles pour pallier aux autres besoins qu'on a dans notre vie. C'est leur première simple plumeur et c'est OK. Ce que je veux dire, c'est que la rémunération, ce n'est pas que le salaire, c'est tout ce qu'il y a autour. La deuxième chose que je sous-entends, c'est que la rémunération, ce n'est pas qu'un sujet technique, c'est aussi un sujet émotionnel. Quelqu'un qui vient demander une augmentation, il veut des sous, mais pas que. La clé, c'est d'aller savoir qu'est-ce que je viens chercher quand je viens demander une augmentation. Est-ce que c'est un besoin de reconnaissance ? Est-ce que c'est un besoin de pouvoir ? Est-ce que c'est un besoin dans l'impression que j'évolue ? Est-ce que c'est l'impression que je suis traité inéquitablement et donc je veux qu'on réduise cette inéquité ? J'avais connu une entreprise où il y a eu un énorme clash dans une équipe. Une personne ne s'était jamais plaint de son salaire parce qu'elle était persuadée qu'il était payé correctement. Un jour, il a appris que ce n'était pas le cas. Il était très en dessous des autres personnes de son équipe. Il a pété un plomb. Alors qu'il ne s'était jamais plaint de son salaire. Pour lui, le salaire était OK. Mais a son besoin. Donc, il a pété un plomb, on l'a augmenté. Il était toujours très malheureux. Le problème, ce n'était pas l'argent, c'était le besoin de... Il pensait être traité équitablement et ce n'était pas le cas. Quelque part, on a brisé le contrat de confiance.

Benjamin Suchar : Et d'ailleurs, tout à fait, moi, je vois que les problèmes vient plus de la rémunération relative que la rémunération absolue. Quand à un moment, on a dû serrer la ceinture pour pouvoir passer d'une année à l'autre et faire attention au budget et que les augmentations n'ont pas été élevées, il n'y a pas eu trop de problèmes. En revanche, quand il y a eu des années où il y a eu beaucoup d'augmentation, mais que l'écart était important et qui semblait injustifié, on avait beau avoir de manière absolue une belle augmentation, si elle était moins forte qu'une personne qu'on jugeait à tort ou à raison, mais équivalent en termes d'impact et d'efforts, on pouvait se retrouver avec des vrais problèmes managériaux.

Sandrine Dorbes : En rémunération, on appelle ça la théorie de l'équité. C'est-à-dire que finalement, on est tout le temps en train de faire le point entre ce que je pense contribuer, ce que je pense contribuer, ce n'est même pas dit que c'est vraiment ce que je fais. Et ce que je reçois en retour. On se fait un petit ratio, c'est un petit ratio d'équité, et ce ratio, on va le comparer avec ses collègues. Ce qu'on imagine que ses collègues contribuent, de ce qu'on imagine que ses collègues reçoivent.

Benjamin Suchar : Et que ses collègues veulent bien dire.

Sandrine Dorbes : C'est un sujet qui est sensible parce que je sens qu'il n'y a pas grand-chose d'objectif. Et en fait, quand on sent qu'il y a un trop gros déséquilibre, il y a une action. Alors parfois, l'action, c'est faire la gueule, c'est déjà une action. Parfois, c'est on va bosser un peu moins pour essayer de rééquilibrer, pour rendre le sujet en tendance. Ok, je vais bosser un peu moins. Parfois, on va s'en aller. Il y a ce truc. Bref, tout ça pour dire qu'en rémunération, il y a ce truc, la théorie de l'équité. Qu'est-ce que je contribue ? Qu'est-ce que je reçois ? Et qu'est-ce que j'imagine des autres ?

Benjamin Suchar : Merci Sandrine d'avoir partagé ta vision.

Sandrine Dorbes : Merci à toi. Et merci à vous d'avoir suivi cet épisode. N'hésitez pas à partager, à liker, à commenter pour ne rien manquer. On se retrouve très vite pour un prochain débat.