Thèmes abordés (Extraits) :Je crois avoir fait le bonheur de certains collaborateurs et malheur d'autres malheureusement. Donc les seniors, c'est finalement les boucs émissaires d'un système mal foutu. Il faut de l'expérience aux plus jeunes et il faut l'envie d'apprendre chez les plus vieux. Et les jeunes, ils disent en fait, moi, je déteste la politique. Mais ça fait partie du travail que de savoir faire du donnant-donnant, parce qu'on n'est jamais tout seul dans une organisation. Mais la différence peut être, c'est que on va tous devenir vieux. Parce qu'on finit toujours par devenir celui qu'on n'a pas voulu regarder. On dit que les jeunes sont trop exigeants, qu'ils veulent du sens, des valeurs, du plaisir, un boss coach, un salaire haut et des horaires flexibles. On dit aussi que les seniors ne comprennent rien, qu'ils ralentissent, râlent, s'accrochent au pouvoir et qu'ils font blocage à tout changement. Ancienne DRH de la SNCF, membre du Comex, passé ensuite dans une start-up à 50 ans, Bénédicte Tilloy a connu le sommet de la pyramide. Elle a lâché le pouvoir, l'étiquette et le bureau pour une start-up la désappris à être important. Aujourd'hui, elle a cofondé Ask for the Moon, une plateforme IA pour accélérer le partage du savoir faire et 10 h 32. Une agence d'accompagnement des dirigeants en temps de crise. Et si c'était elle la plus jeune, la plus cool et la plus visionnaire dans la pièce? Bienvenue dans Beyond Wakan Life. Je suis Benjamin Suchard, le co-fondateur et directeur général de Work Life. Allez, c'est parti!
(Séquence d'extraits médias)
Benjamin Suchar : Bonjour Bénédicte Tilloy. C'est très agréable d'être considérée comme la plus jeune dans la pièce. Je ne sais pas si c'est vrai. Bah écoute, tu disais, j'étais la reine d'un monde qui n'existait plus. C'est quoi ce monde là?
Bénédicte Tilloy : C'est un monde qui est organisé dans l'entre soi. En fait, c'est un contexte dans lequel tout est cohérent, mais tout est cohérent pour que les gens qui y habitent dans ce monde s'y sentent bien, pas forcément en relation avec l'extérieur. Et quand on quitte un Comex, et quand on quitte le pouvoir, on le voit depuis un autre point de vue et en fait, on le voit, on le voit un peu nu en fait, et on découvre que on n'a plus de pouvoir, on n'a plus de, on n'a plus de, on n'a plus les mêmes relations avec les autres. Il faut réapprendre tout. Et c'est assez rafraîchissant. Enfin, c'est pas rigolo au début. Et puis ça a fini par être rafraîchissant. C'est ce qui m'est arrivé.
Benjamin Suchar : Et ce monde là, c'est un monde qui est lié à la génération ou qui est un monde qui est lié au pouvoir. Finalement.
Bénédicte Tilloy : C'est un monde, c'est un monde qui est lié à O. Enfin pour parler, pour être concret, enfin moi j'ai passé. J'ai adoré la SNCF, je l'adore toujours, mais elle a été construite autour d'une ambition qui était de développer le chemin de fer. Enfin, c'est une boite qui a 150 ans, donc elle a été construite autour de ça, autour d'enjeux de sécurité. Elle est. Elle cherche évidemment à se rénover tous les jours et elle le fait. Mais toute l'organisation, tous les processus, ils n'ont pas été inventés il y a dix ans, ils ont été inventés pour certains d'entre eux il y a 100 ans. Et les gens qui fabriquent ça au quotidien, ils sont habitués à ça. Et donc ce monde là, il ne bouge pas assez vite par rapport à un monde qui est celui de tout un tas, de tout un chacun, qui, qui, qui bouge plus vite. Enfin je sais pas comment le dire, mais.
Benjamin Suchar : Oui, tu as complètement changé. D'ailleurs, quand tu es parti de la SNCF, tu t'es retrouvé dans un nouveau monde. Ça a été quoi justement?
Bénédicte Tilloy : Ben en fait j'ai découvert, j'ai découvert que un tout ce que je savais n'était plus très utile et que ceux qui seraient utiles, je ne le savais pas. Donc je savais depuis très longtemps. J'étais déjà habitué à faire moi même les choses que je demandais aux autres de faire. Et quand on fait ça, on ne prend pas conscience que le monde a changé et que la manière dont les choses s'exécutent est plus du tout la même. Et ça m'a fait du bien de ré exécuter moi même des choses, et de m'apercevoir que je n'étais pas forcément très doué pour le faire moi même. Et donc ça voulait dire réapprendre, réapprendre les codes, réapprendre juste à faire des choses simples. On parle beaucoup du numérique, mais le réapprendre de façon pas à en parler, mais à s'en servir en vrai. Réapprendre les relations avec un autre univers. Ça a été difficile, salutaire et je regrette vraiment pas de l'avoir fait parce que j'ai adoré in fine.
Benjamin Suchar : Et tu te retrouves dans un monde, une entreprise où finalement tout le monde ne parle que de l'entreprise, de la mission. Et là, tu me disais tout à l'heure mais finalement la vie c'est pas l'entreprise, sauf peut être pour le CEO. Tu peux m'en parler?
Bénédicte Tilloy : Oui alors en fait je lutte beaucoup contre la représentation de l'entreprise comme une famille. L'idée que d'abord, il n'y a pas un discours de fin d'année qui se termine pas. On a une grande famille, on a réussi tous ensemble, etc. Et je me. Je me bats un peu contre ça parce que faire de l'entreprise l'alpha et l'oméga de sa vie, c'est courir le risque d'être extrêmement déçu quand l'entreprise ne nous reconnaît pas à la hauteur qu'on espère. Or, l'entreprise, elle, suit des objectifs propres. Elle n'est pas là pour faire la carrière des gens, elle est là pour se développer elle même. Et quand on n'a pas compris ça, on peut être extrêmement déçu et on a l'impression d'être trahi quand on y a consacré sa vie et que la carrière n'est pas au rendez vous, ça peut arriver. Et quand on rentre dans une start-up, ce qu'on constate, c'est que le CEO, c'est sa vie, l'entreprise, parce qu'en fait il la porte en lui, elle la porte en elle depuis pratiquement toujours. Et en fait, c'est un rêve qui devient réalité pour lui et il espère qu'elle le soit ou qu'il le soit aussi pour tous les gens qui travaillent auprès de auprès de lui ou d'elle. Et ma conviction, c'est que ça n'est possible qu'à partir du moment où on laisse les autres non pas être que des exécutants, mais co-construire le rêve avec le CIO.
Benjamin Suchar : Et ce qui est dur aussi, je pense, en tant que CEO, c'est que, en fait, tu as cette confiance endogène, tu as besoin de personne en fait pour avancer, parce que c'est en effet ton bébé, tu as envie d'aller le plus loin possible. Et c'est difficile aussi de comprendre que les gens qui t'entourent, eux, doivent avoir une motivation. Et c'est pour ça que finalement, être fondateur ou être manager, c'est finalement deux rôles qui sont assez différents d'ailleurs.
Bénédicte Tilloy : Oui, c'est c'est sans doute différent et je pense que c'est une des raisons pour lesquelles, quand les entreprises grandissent, les fondateurs finissent par quitter les fonctions opérationnelles parce que, en fait, c'est le seul moyen que l'entreprise se développe, il faut laisser à chacun la possibilité d'en être. Et tu vois le problème du. Le problème du CEO visionnaire, c'est qu'en fait sa vision s'arrête là où il décide de l'arrêter, alors que d'autres peuvent la prolonger bien plus loin que l'idée qu'il en avait au départ. Et c'est ça qu'il faut laisser faire.
Benjamin Suchar : Et peut être des éléments concrets qui permettent justement d'avoir une meilleure créativité dans l'entreprise. Est ce que c'est en partageant des parts d'entreprises, donc de manière très concrète, ou est ce que ça va être en faisant finalement bouillonner la créativité? Comment on fait en tant que CEO? C'est quoi les conseils que tu leur donnes?
Bénédicte Tilloy : C'est pas facile. Déjà parce que ça c'est un peu. Il faut un peu d'humilité et d'abnégation. C'est en laissant, en laissant les gens avec les questions et en leur donnant la possibilité d'y répondre par eux même avant d'imposer la manière qu'on a soi même d'y répondre. Et c'est hyper dur parce que comme tu dis, comme on a une confiance en soi qui est complètement endogène, on sait déjà on aurait eu envie d'écrire la partition pour que les jouent, les collaborateurs, se la joue, mais en fait il faut leur laisser écrire la musique.
Benjamin Suchar : Et pour ça, il ne faudrait pas un peu de sagesse, d'expériences de personnes d'autres générations aussi pour pouvoir apporter ces éléments là.
Bénédicte Tilloy : Ça c'est ma conviction. C'est à dire que le monde des start up qui est un monde quand même, un monde de jeunes, enfin des beaux gosses en jeans qui ont fait Polytechnique ou HEC souvent mec d'ailleurs. L'idée qu'ils puissent en fait se maquer pour avec des gens plus âgés, plus sages, ça a beaucoup de sens, mais ça suppose de bien se comprendre. Or, on n'a pas les mêmes codes, on n'a pas le même rapport au pouvoir, on n'a pas le même rapport à l'engagement, on n'a pas le même rapport à On n'a pas, on n'a pas vécu, on n'a pas regardé la télé en même temps, on n'a pas les mêmes références et donc il faut faire l'effort de se le raconter au quotidien pour que ça fonctionne. Sinon on court le risque d'être dans une querelle des anciens et des modernes, ou de d'avoir le CIO qui n'a pas envie d'être avec sa maman ou la la la maman ou le monsieur qui a pas envie. Qui a envie de dire au CIO va, va ranger ta chambre et puis on en parlera plus tard.
Benjamin Suchar : Au delà des codes, c'est quoi les principales différences finalement? Tu parles de gentils aussi. Tu parles de seniors, de vieux? Tu oses dire vieux? On ne va pas dire seniors.
Bénédicte Tilloy : Je dis vieux parce que en plus senior, tu vois, ça va dans les boites maintenant, 40, 50 et seniors. Bon moi j'en ai 64 donc je suis senior XXL. Donc ouais, on peut dire vieux dans en fait, c'est l'expérience peut être qui est qui est importante et on peut avoir de l'expérience en étant plus jeune d'ailleurs, c'est l'expérience, c'est l'envie d'apprendre. En fait, Il faut de l'expérience aux plus jeunes et il faut l'envie d'apprendre chez les plus vieux. Et quand les deux en fait, comprennent ça, alors on arrive en fait à travailler correctement ensemble. Si on se s'enferme dans des dans des représentations du monde qui sont divergentes et on. Si on se les. On se les oppose et on se les renvoie à la gueule réciproquement, ça ne marche pas. D'accord. Et donc ça suppose de beaucoup parler pour expliquer, y compris et expliquer les mots qu'on utilise au quotidien et qui ne va pas, et qu'on va sur le même sens. D'accord.
Benjamin Suchar : Et donc aujourd'hui, on voit que c'est quand même assez difficile l'emploi des seniors ou des vieux. Bon, il y a une étude, là, qui est sortie il y a pas très longtemps, qui montre que le taux d'emploi des 60 64 ans est au plus haut depuis que on le calcule, c'est à dire 1975, mais ça reste bien en deçà de la moyenne européenne. Alors, c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle?
Bénédicte Tilloy : C'est une bonne nouvelle. Si ça progresse, c'est une mauvaise nouvelle qu'on soit tout en bas de l'échelle européenne. C'est très lié en fait, à la vision du travail qu'on a en France et du fait qu'on a. On a polarisé tous les débats sur les retraites en partant du principe qu'en fait travailler, ce serait fatiguant et insupportable et qu'en fait plutôt on quitterait le travail et mieux ce serait. Et donc les entreprises s'organisent pour évacuer leurs seniors de façon à ce que les jeunes n'arrivent plus au plus vite à des postes de responsabilités. Et du coup, les seniors entendent le fait que ça va être le début de la fin à partir d'un certain moment, et tout le monde en a dans la tête. Le fait que passé un certain âge, il faut penser à autre chose.
Benjamin Suchar : Donc les seniors, c'est finalement les boucs émissaires d'un système mal foutu.
Bénédicte Tilloy : Peut être, peut être. C'est à la fois les boucs émissaires, mais en même temps je ne voudrais pas être. Ils sont aussi un peu responsables de considérer, par exemple, qu'ils sont trop vieux pour apprendre, que c'est pas à leur âge qu'on va leur imposer un certain nombre de choses. Que tout ça, c'est bien. Mais enfin, on en a vu d'autres. Il y a besoin malgré tout, d'avoir une fraîcheur de regard sur les choses et d'accepter d'être remis en question par des plus jeunes que soi si on veut conserver des responsabilités ou en tout cas si on veut être écoutés dans une organisation qui n'a pas envie d'entendre. Et Et ça, ça suppose un comportement de découverte, curiosité, volonté d'apprendre, de se faire raconter des choses par des plus petits que soi. Quand je mets plus petit que soi, c'est d'interprétation des plus petits que soit. D'accord.
Benjamin Suchar : Et quand tu compares justement un petit peu avec la Janzé, tu dis souvent la Janzé, elle a besoin de sens. Et en gros, on leur donne des tickets resto. Ouais. C'est quoi du coup? Donner du sens pour toi?
Bénédicte Tilloy : Alors c'est d'abord, il y a plein de. Il y a plein de gens qui veulent du sens. Il n'y a pas que les jeunes qui veulent du sens. Simplement, ils y sont sans doute plus attachés. Mais le sens, c'est d'abord être. Avoir du plaisir à faire son travail au quotidien et avoir les moyens de bien le faire. Ça, c'est la première chose. Le deuxième, Le deuxième sujet, c'est faire quelque chose qui dont la portée sert des enjeux sociétaux auxquels on adhère. On n'a pas envie de travailler pour une boîte qui fait des cigarettes, On n'a pas envie de travailler pour une boîte qui fait des engrais ou des pesticides. Et puis troisièmement, le l'entreprise dans laquelle on se trouve, on aime, on a envie d'être partie prenante dans son développement. C'est un peu tout ça le sens. Bon, c'est est possible, extrêmement difficile à réussir pour chacun. Et donc c'est pour ça qu'il y a beaucoup de gens qui, en fait, se sont déçus. Et le sens qu'il voit au début, ce devient par la suite une grosse déception et à ce moment là, on rentre dans des comportements de cynisme ou dans des comportements de critique. Enfin en tout cas, on voit les gens se désespérer plus vite. Et tu sais, c'est dans les associations que les gens sont les plus malheureux et dans lesquels il y a le plus de burn out. Intéressant.
Benjamin Suchar : Mais alors moi je ne suis pas très objectif parce que tu sais, on fait des titres resto, donc nous on essaye justement de redonner de l'impact, de pouvoir redonner de l'engagement à travers justement des politiques sociales. Mais quand tu regardes les études, ça reste pour les jeunes la rémunération, les avantages sociaux, le critère numéro un pour sélectionner un emploi, non.
Bénédicte Tilloy : C'est en fait, c'est c'est tout ça à la fois. C'est à dire c'est c'est un critère, c'est un critère pour choisir, C'est pas un critère pour rester.
Benjamin Suchar : Je comprends.
Bénédicte Tilloy : Et le critère pour rester, c'est la capacité à se sentir un acteur engagé et reconnu comme tel par l'ensemble du management de l'entreprise, c'est à dire de sentir qu'on compte dans la boîte.
Benjamin Suchar : C'est intéressant D'ailleurs, on a interviewé Stéphane Michel avant, qui était un précédent podcast et qui était coach en management. Il dit La grande différence entre les générations, c'est l'exemplarité. C'est à dire que, en fait, aujourd'hui, les jeunes ont besoin d'exemplarité de leur coach, de leur manager, de patron de la boîte, là où peut être avant on disait bah non, c'est bon, c'est le patron. Il y avait une sorte de respect de l'autorité qu'on n'a plus maintenant. Pourquoi ça passait avant et plus maintenant?
Bénédicte Tilloy : Ben je pense qu'il y a une une volonté d'être, d'être managé par des gens qu'on admire Alors qu'avant on acceptait de ne pas admirer parce que les choses étaient extérieures à nous. En fait, on nous fixait un cadre avec des règles et aujourd'hui le cadre est beaucoup plus distendu, les règles sont moins définies et tout. Tout se fabrique dans la relation aux autres et la relation aux autres. C'est quelque chose d'infiniment non tangible, c'est quelque chose qu'on construit avec chacun. Et on peut être un bon manager avec certaines personnes et un mauvais manager avec d'autres, parce que les gens n'ont pas la même aspiration. Moi, je me rappelle très bien, je crois avoir fait le bonheur de certains collaborateurs et le malheur d'autres, malheureusement. Je sais que quand j'essaie, pourquoi? Je sais pourquoi à Transilien, j'ai. J'étais assez sensible au fait de laisser les gens découvrir par eux même. En fait, un certain nombre de choses. Il y a des gens qui étaient très très attachés à ce que le patron dise quoi faire, comment faire dans le détail. Et ces gens là qui avaient eu l'habitude d'avoir des patrons comme ça, je pense que je les ai perdus. Et je me souviens d'avoir été très très triste et d'avoir très mal vécu le fait qu'un de mes collaborateurs, en fait, me dise que j'avais été le pire patron de sa vie pour cette raison. Pour cette raison. J'avais marqué. Oui, bah oui. Et donc il faut à la fois tracer la route, donner la vision, aider à tracer le chemin de temps en temps et laisser suffisamment de place à l'autre pour qu'il trace sa propre route. Mais tout le monde n'est pas égal, les gens n'ont pas tous la même envie de l'avoir, qu'on leur lâche la bride sur le cou ou pas. Et ça, il faut être capable de le comprendre et de l'interpréter.
Benjamin Suchar : Et s'adapter.
Bénédicte Tilloy : Et de s'adapter.
Benjamin Suchar : Et donc les vieux managers peuvent finalement encore inspirer les jeunes.
Bénédicte Tilloy : Oui, si, si, ils comprennent que c'est dans la relation avec l'autre que s'ajuste Précisément cet exercice de management.
Benjamin Suchar : Et si je comprends bien. Un peu comme les CEO de start-up, il faut aussi qu'ils apprennent à lâcher le pouvoir.
Bénédicte Tilloy : Oui.
Benjamin Suchar : Donc il y a finalement la notion de pouvoir qui est intergénérationnelle.
Bénédicte Tilloy : Le pouvoir c'est. En fait, il faut distinguer pour moi, le pouvoir, l'impact et la puissance. D'accord. Le pouvoir, c'est ce que la fonction te permet. Enfin, te donne ta fiche de poste. Ta place dans l'organisation te donne un certain pouvoir. Ensuite, la personne que tu es là, la manière dont tu incarnes ton rôle au quotidien va te donner de la puissance. Parce qu'en fait, tu vas perdre. Tu vas pouvoir faire avec ce pouvoir qui t'est donné beaucoup plus. Et c'est là que tu as de l'impact, tu vois? Et donc il y a des gens qui ont plein de pouvoirs, mais qui ont peu de puissance et peu d'impact. Il y a des gens qui ont très peu de pouvoir et beaucoup d'impact. Tu le vois dans les organisations, les gens, tu vois, tu vois des profils, des personnes qui sont parfois qui n'ont pas des grosses responsabilités, qui ne sont pas libres d'un sujet, mais que tout le monde va voir parce qu'ils sont compétents dans leur domaine. Quand ils te donnent des conseils, te le donne avec une forme qui te qui te convient. Et en fait, ces gens là, ce sont des leaders qui n'ont pas forcément un pouvoir que l'organisation leur concède, mais une puissance et un impact en fait qu'ils ont trouvé par eux même, parce que la personne qu'ils sont incarne des valeurs auxquelles les autres adhèrent.
Benjamin Suchar : Je comprends. On a beaucoup parlé de diversité, même si c'est un terme un peu moins à la mode en ce moment. l'Inclusion, ça a beaucoup commencé par des questions de quotas, par des questions de représentation de la société telle qu'elle est et pas telle qu'elle était jusqu'à présent dans les organisations. Aujourd'hui, c'est c'est comment on fait en sorte que chacun apporte sa pierre pour que le regard collectif en fait, soit plus ample que quand on était sur un petit, un petit format de gens tous pareils. C'est pour ça d'ailleurs que je pense que la diversité, ça va jusqu'à accepter de faire de travailler avec des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs que soi. C'est pas qu'une question d'avoir tous les mêmes valeurs et d'être tous noir, blanc, jaune ou LGBT ou c'est pas que ça. Ou jeune, ou.
Bénédicte Tilloy : Jeune ou vieux. C'est se dire qu'on est capable de travailler avec des gens qui ne partageons pas forcément les mêmes valeurs, mais avec lesquels on est capable de trouver un terrain d'entente pour progresser sur un sujet. Et c'est eux, vraiment.
Benjamin Suchar : Oui. À le faire. Parce que les valeurs, c'est ce qui va finalement nous réunir, quelle que soit notre origine et d'où on vient.
Bénédicte Tilloy : Oui, mais si on n'est pas, si on n'accepte pas de travailler avec des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs, on fabrique du on fabrique de la colère et on fabrique des gens qui en fait, se sentent plus inclus du tout. Et pour avoir travaillé dans une entreprise où les rapports sociaux étaient très compliqués. Oui. On réalise qu'en fait, parfois, le système de notre système de valeurs et le système de valeurs des gens avec lesquels on travaille à une intersection qui est pas très grande et pour autant il faut travailler avec eux. Et donc le travail, c'est un travail de chercher avec eux qu'est ce qui nous rassemble.
Benjamin Suchar : Donc cette intersection.
Bénédicte Tilloy : Dont est donc cette intersection. Mais quand on brandit les valeurs absolues, au début, on veut que l'intersection soit à 100 % et c'est pas accessible.
Benjamin Suchar : Et pour pouvoir avoir justement tous ces gens qui n'ont pas les mêmes valeurs, tu parles de quotas. Il faut un index, il faut un index senior comme il faut, un index égalité femmes hommes par exemple.
Bénédicte Tilloy : Il faut à un moment donné être forcé par des circonstances externes ou par des choses externes surnaturelles, parce que sinon on a c'est la vie, c'est normal, on cherche des gens avec lesquels on s'entend bien, qui nous ressemblent et résultat, en fait, on fabrique de le déborde avec des gens tous pareils. Et l'expérience que je tire de la SNCF, c'est qu'il y a plein de gens que j'ai. Avec lesquels j'ai travaillé. Que je n'aurais pas choisi et avec lesquels j'ai en fait adoré bosser. Parce qu'ils m'ont fait découvrir des choses qui n'étaient pas dans mon spectre, naturellement.
Benjamin Suchar : Mais au delà de forcer, je pense qu'il y a un truc que tu fais hyper bien d'ailleurs, c'est de pouvoir mettre en avant des rôles modèles.
Bénédicte Tilloy : Oui
Benjamin Suchar : parce que en fait, par exemple, moi à 25 ans, j'ai embauché ma première directrice commerciale et elle avait quasiment 50 ans. Et en fait, c'était hyper dur pour moi de pouvoir me dire bah en fait je fais le pas, je vais être capable de pouvoir manager. C'est J'avais l'impression que c'était elle qui me faisait confiance et moi je savais pas si j'allais pouvoir le faire. Et en fait, ce qui manque à ce moment là, et je pense que ce qui m'a manqué, même si j'ai réussi à franchir le pas, c'est un rôle modèle de pouvoir se dire bah en fait, bah ouais, on peut être vieux dans un monde de jeunes et il y a des gens que ça éclate. Il y a des gens qui ont envie de faire ça. Et peut être que du coup, ben il faut du courage aussi en tant que jeune pour pouvoir se dire on va manager quelqu'un qui a beaucoup plus d'expérience et donc mettre en avant des rôles modèles, C'est finalement assez fondamental, non?
Bénédicte Tilloy : Je suis complètement d'accord avec ça. Je pense que moi j'ai eu la chance par exemple d'avoir des rôles modèles de DG femme qui m'ont permis de me dire bah en fait c'est possible, donc je vais le faire. Mon but n'était pas d'être la première à faire affaire, il y en a que ça motive mais ce n'était pas le sujet. C'est à dire certaines l'ont fait donc je peux le faire moi aussi. Et c'est vrai que j'ai eu envie d'écrire des portraits de vieux pour donner envie de vieillir, parce que je suis entourée de gens qui ont mon âge et qui font des trucs dingues. Et je me dis mais enfin, ils inventent des choses tard dans leur vie. Et ça, il faut que les gens le voient parce qu'en fait, il faut que ça leur donne envie eux aussi de le faire. Et c'est vrai, tu as raison, c'est pas facile de diriger un vieux Parce qu'on sait pas comment s'y prendre.
Benjamin Suchar : Surtout la première. Fois.
Bénédicte Tilloy : Surtout la première fois. Donc si quelqu'un l'a fait avant, soit on se dit peut être qu'il va peut être qu'il y est arrivé et donc moi je vais y arriver aussi.
Benjamin Suchar : Ben justement, toi ton associé il est plus jeune. Hum. C'est comment?
Bénédicte Tilloy : C'est difficile. Ouais, c'est pas facile, C'est pas facile, c'est pas facile. Et d'ailleurs, je pense que moi, je le laisse aujourd'hui diriger l'entreprise sans moi, parce que je pense que c'est important qu'il puisse tracer sa route parce que il faut qu'il aille vite et l'entreprise doit aller vite. Et je pense qu'à un moment donné, j'ai sans doute été un peu contre productive.
Benjamin Suchar : Comment?
Bénédicte Tilloy : En étant. Peut être un peu plus averse au risque. En voulant étudier plusieurs scénarios en même temps, alors que tu sais qu'en entrepreneur, en fait pour réussir, il faut que. C'est comme. Il doit faire du vélo. Donc, s'il ne va pas assez vite, il tombe. Il doit foncer. Il doit foncer. Et ça, ça suppose d'accepter de tomber de vélo et de se faire mal. Et quand on est senior et qu'on a une carrière devant soi, on se rappelle des fois où on est tombé de vélo et. On sait que ça fait. Mal. Et on sait que ça fait mal.
Benjamin Suchar : Alors je vais revenir sur la notion de pouvoir. Tu es passé du Comex à une start-up, tu dis? J'ai du coup dû apprendre à désapprendre, à être importante. Et du coup, finalement, moi, la question que j'ai envie de te poser, c'est ce que le pouvoir rend à ce point là aveugle pour confondre importance et utilité.
Bénédicte Tilloy : C'est c'est c'est pas que ça rend aveugle, c'est que comme tout le monde, les journées font que 24 h et donc tu tris dans ton quotidien. Le temps que tu fasses les choses auquel tu t'attaches, tu passes ton temps à arbitrer des. Des choses qui sont. Qui se traitent en millions. En milles, parfois en milliards, etc. Et donc tu oublies. Tu peux oublier des choses très simples qui sont les choses du quotidien. Et il faut faire l'effort de mettre le quotidien dans son agenda pour pour ne pas risquer de ne plus le voir. Et ça, c'est un travail et c'est un effort à faire parce que tout entraîne vers un arbitrage qui te, qui ne, qui ne fait, qui ne fait et qui ne fait que regarder ce qui a trait aux choses les plus grosses, et donc les choses de pouvoir.
Benjamin Suchar : Mais du coup, avec le recul, ce moment, quand tu es dans le Comex de la SNCF, c'est une partie de plaisir où finalement c'est un challenge qui t'as fait souffrir?
Bénédicte Tilloy : Les deux. Les deux? Les deux? C'est à dire? C'est hyper gratifiant. D'abord, socialement, faut se le dire. C'est hyper gratifiant de se trouver confronté à des enjeux qui en fait c'est sont à l'échelle de la nation. Refaire une grille horaire d'une desserte, c'est pas du travail pour des millions de personnes, donc c'est plutôt gratifiant. Tu rencontres des gens qui te que tu vois la télé. D'accord. Donc tout ça, ça peut être très gratifiant. Et en même temps, le pouvoir, c'est un jeu d'acteur. Et tu peux aimer le jeu d'acteur, mais tu peux aussi être blessé par le jeu d'acteur. Tu peux y consacrer du temps. Parce que chacun a un agenda personnel à côté d'un agenda collectif. Et si tu ne fais pas attention, tu peux te retrouver abîmé par des manigances ou des.
Benjamin Suchar : Ça, la politique.
Bénédicte Tilloy : De politique, hein? C'est à dire qu'on ne fait plus vraiment dans l'objectif, par exemple commun de l'entreprise.
Benjamin Suchar : On fait pour pouvoir bouger les pions.
Bénédicte Tilloy : En fait, il y a. On s'aperçoit quand on a du pouvoir. Que c'est pas parce qu'un projet est important et que tout le monde y croit qu'il va réussir. Pour autant, chacun a un projet. Dans un Comex et chacun a des projets à faire réussir pour l'entreprise, mais pour son propre périmètre. Et tout le sujet, ça consiste en fait à mobiliser ses collègues pour que ses propres sujets avancent, parce qu'ils vont y contribuer. Et donc il faut les intéresser à son projet. Et donc ça suppose, à un moment donné de. De les amener à s'intéresser à ton projet, d'y consacrer du temps. On parlait des arbitrages, du temps, de leur de pouvoir les amener à y consacrer du temps et toi même d'y consacrer du temps à leur. Du temps et de l'argent. Et de l'argent. Et donc ça, c'est. C'est l'arbitrage de ton temps et l'arbitrage de ton temps, c'est toujours politique, on le voit en ce moment au niveau du gouvernement. Donc ça existe pas un Comex, pas politique. Je crois. Pas. C'est pas un idéal. Je crois pas. C'est légitime. On n'a pas semble, on n'a pas des moyens illimités à partir du moment où les moyens sont limités, on le voit dans le budget du pays. En ce moment, il y a des arbitrages à faire. Les arbitrages contiennent des visions alternatives, des visions différentes des uns et des autres, des projets qu'on ne peut pas tous faire et regardons au niveau du pays. On ne peut pas en même temps développer l'hôpital, développer l'éducation, développer les moyens de se défendre avec un budget qui est en réduction éventuellement. Et donc il y a ces arbitrages là, on voit bien que ça génère des enjeux politiques et des compromis entre des personnes dans un Comex, c'est ça aussi.
Benjamin Suchar : Mais les jeunes, ils disent en fait moi je déteste la politique, moi j'ai pas envie d'être jugé, j'ai envie d'être jugé sur les actions, j'ai pas envie de faire du donnant-donnant, de faire des trucs. Ça fait que je leur dis quoi?
Bénédicte Tilloy : Mais ça fait partie du travail que de savoir faire du donnant-donnant. Parce qu'on n'est jamais tout seul dans une organisation. C'est toujours avec les autres qu'on réussit des projets. Et pour les impliquer, il faut qu'ils donnent un peu d'eux mêmes et eux mêmes. Ils ont envie que tu leur donnes toi, un peu de toi. Et ça, ces arbitrages de temps qui font que tu développes tes propres projets, tu contribues à ceux des autres. C'est quoi? Sauf de la politique?
Benjamin Suchar : Tu donnerais quoi comme conseil finalement à un dirigeant qui veut empower un petit peu l'ensemble de son équipe et qui peut être déconnecté aussi parce que tu n'as finalement que quelques personnes autour de toi? Comment tu fais?
Bénédicte Tilloy : Je pense que ce qui est important, c'est de comprendre à quel moment, dans sa vie quotidienne, le collaborateur a le sentiment que des choses dépendent de lui en vrai. D'accord, c'est ça qu'il faut savoir. Et ça, c'est quelque chose qu'il faut pouvoir mesurer, à quel moment il a vraiment le sentiment que ça va être réussi grâce à lui. Alors, il y a des enquêtes internes qui permettent de vérifier ça. Il y a les remontées du management, il y a le fait de se poser à côté de quelqu'un et de juste sans agenda et de discuter avec lui pour comprendre, écouter, écouter. Et je me rappelle avoir organisé un séminaire de boîte où j'avais de fins de Comex pardon, j'avais demandé à chaque membre du Comex, avant de venir en séminaire, de passer une demie journée auprès d'un collaborateur qui connaissait pas, euh, sans agenda, pour discuter avec lui de son quotidien. Et quand on avait fait le séminaire. Après, les gens m'avaient tous raconté des histoires incroyables, des découvertes en fait, et on avait travaillé le plan stratégique parce que c'était ça le sujet. Et je leur avais dit formulons le plan stratégique avec les mots qui vont vous permettre de retourner voir toutes ces personnes pour leur dire Voilà ce que ce que le plan stratégique, voilà comment toi, tu y as ta part.
Benjamin Suchar : Concrètement, à un moment donné, tu dis on me regardait plus, j'ai décidé de me dessiner. C'est hyper violent, non?
Bénédicte Tilloy : Oui, en fait, c'est tu t'aperçois qu'il y a des codes dans tous les milieux où tu vas, il y a des codes. Quand tu es dans un Comex d'une grande organisation qui a plus de 100 ans, les codes, c'est qu'en fait les dirigeants ont plutôt les tempes grisonnantes et on fait des on des diplômes. Donc quand tu nais, quand tu n'as pas les tempes, les tempes grisonnantes et que tu n'as pas de diplôme, c'est dur d'exister, hein? Ce qui n'a pas été mon cas. J'avais les tempes grisonnantes et les diplômes. Et quand tu changes d'univers, tu t'aperçois que c'est pas les mêmes codes. Sauf que c'est pas dit. Et donc tu perçois que tu n'es plus important parce que tu n'es plus regardé. Parce qu'en fait, les égards qui t'était dus, tu ne les voyais plus. Parce qu'ils faisaient partie, faisait partie du système. Et tu découvres que quand tu arrives dans un autre système, ces codes là n'existent plus. Et donc tes tempes grisonnantes, et bah ça te disqualifie plutôt que ça te qualifie.
Benjamin Suchar : Tu disais d'ailleurs quand vous avez levé des fonds, que on te regardait à peine et que dans les questions elle ne t'étais même pas adressée et que c'était hyper violent. Mais donc du coup, c'est quoi? C'est le monde du numérique, des startups qui est anti vieux.
Bénédicte Tilloy : C'est le monde numérique qui pense qu'en fait, bah pour être entrepreneur, il faut foncer, il faut y consacrer sa vie, Si il faut et donc faut être forcément jeune pour faire ça. Et comme il y a eu des rôles modèles, on revient sur la question des rôles modèles qui ont été les rôles modèles de la start-up nation il y a encore dix ans. C'est des beaux gosses qui posaient sur un escalier en jeans et en t-shirt. C'est en fait Zuckerberg qui a créé le modèle du beau gosse qui réussit cool, cool. Et qui. Porte. Pas de. Qui ne marche pas exactement.
Benjamin Suchar : Et tu dirais quoi aux gens qui se sentent invisibles?
Bénédicte Tilloy : Alors d'abord, je dois dire que j'ai eu honte de ne pas avoir cru dans une vie antérieure ce que ça voulait dire quand les gens me disaient je suis invisible parce que j'avais pas l'impression de ne pas les regarder. Mais en fait, c'est une série de petites, minuscules choses mises bout à bout qui fait qu'on se sent plus regardé. C'est pas on ne rentre pas dans une pièce. Quelqu'un vous dit Oh, je ne veux pas te regarder, C'est une série de toutes petites choses mises bout à bout.
Benjamin Suchar : C'est à dire que finalement, il y a un petit peu de de d'attaque qu'on peut avoir au fur et à mesure et qui font finalement ce qu'on appelle la discrimination. Chaque petite chose en tant que telle, si on met le doigt dessus, on se dit bah attends, mais c'est rien et c'est pas volontaire, mais c'est la reproduction quotidienne de toutes ces petites choses qui fait qu'on finit par réaliser qu'on est quelqu'un d'autre pour les autres et qu'on n'est pas pareil du tout. Et qu'en fait, c'est plus facile pour eux de ne pas nous voir que d'accepter qu'on est différent parce qu'on ne sait pas s'y prendre avec les gens différents.
Bénédicte Tilloy : Et c'est un peu un cercle vicieux parce que du coup, après, on a encore moins envie de se mettre en avant, on perd confiance et donc. On devient ou on devient très militant. OK. Et parfois d'ailleurs on indispose en étant très militant et c'est pas facile. Et donc être, ne pas être invisible, c'est. Pour moi, c'est de temps en temps faire valoir un point de vue qui est le sien, de manière cash, sans en faire trop. Parce que quand on en fait trop, on devient le porte parole de quelque chose qui nous dépasse.
Benjamin Suchar : Mais ça, c'est intéressant en fait, parce que, en plus, tu as vécu du dialogue social, donc c'est un peu la même chose. Tu dis il ne faut pas trop en faire, mais ce qu'il ne faut pas de la radicalité à un moment.
Bénédicte Tilloy : En fait, je pense que tous ceux, tout, tous ceux et tous les tous les militants qui sont dans la radicalité, sont les courageux qui aident les autres. Donc il faut de la réaction. Donc il en faut évidemment de la radicalité. La radicalité permet à la cause de ne plus être invisible, mais n'aide pas à fabriquer du lien opérationnel entre les gens pour qu'un projet réussisse.
Benjamin Suchar : Mais en fait, c'est un peu du timing. C'est à dire qu'il faut commencer par de la qualité pour pouvoir faire porter un sujet, pour pouvoir en parler, pour pouvoir du coup appeler à une prise de conscience. Et ce qui doit suivre la radicalité, c'est justement générer une forme de consensus. Mais finalement, en France, on reste peut être souvent au niveau de la radicalité et on oublie l'étape numéro deux.
Bénédicte Tilloy : Et tu vois, quand tu viens en l'exprimant, je me dis c'est exactement comme la création d'une organisation nouvelle, enfin d'une start-up. Il faut de la radicalité au départ pour exister. Pour s'imposer sur un marché, il faut prendre des risques pour ne pas tomber de vélo et pour la déployer plus grand et plus large. Après, il faut pouvoir travailler avec les autres, avec des gens qui ont des compétences qu'on n'a pas et accepter qu'ils nous donnent des conseils sur des sujets finalement sur lesquels on n'est pas compétent. C'est un peu pareil en fait sur un sur. Pour moi, la diversité, c'est qu'il y a de la radicalité pour faire entendre une voix différente et en même temps pour que cette voix différente est voix au chapitre au milieu de toutes les autres et que ça fabrique quelque chose de différent. Il faut du consensus.
Benjamin Suchar : Mais d'ailleurs, c'est aussi intéressant en terme de profil parce qu'il y a des militants. Il y a des hommes et des femmes politiques et finalement chacun sait où est ce qu'il est meilleur. Tu vas prendre un militant et tu vas lui demander de faire de la politique. Ça ne marche pas toujours. Et l'inverse probablement encore moins. Donc finalement, il faut savoir aussi sa zone de confort, sa zone où on est le meilleur parce qu'on ne peut pas tout faire, on ne sait pas tout faire. Mais d'ailleurs, c'est intéressant parce que moi, la radicalité, en fait, notamment dans un débat politique, d'une manière naturelle, si tu veux, j'ai toujours eu, je ne me suis pas reconnu dans la radicalité. Les discours militants, les discours radicaux. Et puis, en réfléchissant bien, je me suis rendu compte que chaque progrès social, notamment il a nécessité de la radicalité et que, en fait, je me pensais progressiste, mais que pour pouvoir être progressiste, il faut pouvoir accueillir la notion de radicalité. Parce que le progressisme sans radicalité. Dans l'histoire, quand tu regardes la lutte des minorités, la lutte de la discrimination raciale aux États-Unis, même si tu reprends la Révolution française, il a fallu à un moment toujours de la radicalité. Donc c'est essentiel en fait. Et d'ailleurs, donc du coup, tu regardes qui tu étais avec un nouveau regard et tu dis J'ai été une manager toxique à un moment, oui. Et c'est quoi? C'est comment tu t'en es rendu compte?
Bénédicte Tilloy : Parce que Parce que ça c'est une histoire assez terrible, c'est que je suis rentrée dans le bureau d'une de mes collaboratrices que j'espérais être en réunion avec moi dans un grand comité de pilotage, et je me suis énervée de pas la voir arriver, et j'ai fini par aller la chercher dans son bureau, sans doute avec un ton d'ailleurs pas très sympathique. Et je l'ai trouvée assise en pleurs derrière son armoire, et j'ai réalisé que j'étais la cause de ça. C'est à dire que je lui avais collé tellement de sujets à résoudre que, en fait, je n'avais pas mesuré que elle était débordée et que et que j'étais devenue en fait toxique. Pas toxique parce que je la je l'écoutais pas ou que enfin si, je l'écoutais pas parce que j'écoutais pas, qu'elle n'en pouvait plus et je voyais pas qu'elle en pouvait plus. Ça m'a beaucoup marqué cette histoire.
Benjamin Suchar : Et tu l'as compris tout de. Suite.
Bénédicte Tilloy : Oui, je l'ai compris tout de suite. Ça pour le coup, je l'ai compris tout de suite. Et. Et j'ai travaillé avec l'équipe, avec mon équipe, sur comment on s'y prend maintenant pour que ça n'arrive plus. Parce que ce que j'ai découvert avec horreur, c'est que les autres le savaient et me le disait pas. Donc il y avait deux sujets. Il y avait un la relation avec cette personne et deux le fait que je ne crée pas l'environnement autour de moi, qui permettait aux autres de me dire que j'étais en train d'abîmer quelqu'un à trop lui confier de responsabilité parce que j'avais confiance en elle Et euh. Et on a vraiment très bien travaillé ensemble. On a créé les Anges Gardiens à l'époque où chacun les buddy.
Benjamin Suchar : Ouais, c'est ça, un peu les buddy.
Bénédicte Tilloy : Et du coup, je enfin, c'est quelque chose auquel je crois beaucoup. C'est de ne pas confondre le manager et le buddy. Le buddy, c'est quelqu'un qui prend soin indépendamment de tout le reste. Alors qu'un manager, c'est quelqu'un qui a des objectifs à déployer.
Benjamin Suchar : Si on va de manière un peu plus macro, cette fois ci, on te propose le poste de ministre du Travail. Qu'est ce que tu fais?
Bénédicte Tilloy : Euh je crois pas que j'accepte déjà.
Benjamin Suchar : Pourquoi tu me parles de pouvoir? T'en peux plus?
Bénédicte Tilloy : Non non parce que je sais pas si j'ai là. J'ai encore le courage de consacrer 150 % de mon temps à cette activité. D'accord. Et en fait, il y a quelque chose qui n'est pas exemplaire chez le ministre du Travail, c'est que pour bien faire son travail, il devrait se mettre dans la situation des travailleurs, c'est à dire avoir une vie quotidienne suffisamment épanouissante pour que le travail ne représente pas toute sa vie. Et en tant que ministre du Travail, je pense que le travail représente toute sa vie de ministre.
Benjamin Suchar : C'est intéressant. Donc, finalement, il n'y aurait pas d'exemplarité à ce moment là parce que c'est trop prenant. Et donc on ferait un mauvais ministre du Travail, même quand on est ancienne. DH. Il y aurait une mesure comme ça que tu aurais envie de pousser sur le travail, sur le senior, sur le pouvoir? Sur
Bénédicte Tilloy : moi, il y a un élément intéressant. Tu parles de pouvoir. Quand tu regardes les entreprises du CAC 40, tu as dit tout à l'heure c'est à chaque fois les mêmes diplômes, Il y a une sorte de plafond de verre. Est-ce qu'il n'y aurait pas quelque chose à faire? Est ce qu'il n'y aurait pas quelque chose à faire pour développer l'intergénérationnel? Est ce que il n'y aurait pas des mesures à développer? Alors c'est vrai qu'il y a eu la loi Copé Zimmermann qui a permis en fait aux femmes d'entrer dans les conseils d'administration et que de fait, ça l'a fait. Peut être faut il faire la même chose pour les seniors, c'est à dire avoir un index qui en fait garantisse la présence de seniors à bord de toutes les boites. l'Index de la diversité. Les américains par exemple l'ont intégré. Alors ceci dit, ça, ça a eu des effets contradictoires parce que si on parle de radicalité, ça a conduit à de la radicalité. Et en fait, aujourd'hui on est dans du backlash. Donc maintenant ça fait l'inverse. Ça produit l'inverse. Donc c'est c'est. Mais la différence peut être c'est que on va tous devenir vieux.
Benjamin Suchar : C'est vrai, tu as raison.
Bénédicte Tilloy : Alors que ce qui tu as raison, c'est vraiment tu as cristallisé les débats, tu vois, c'était que il y avait une somme de minorités qui était. Tu as raison, tu as complètement raison, c'est un vrai argument. C'est à dire que parmi tous les racismes, l'âgisme et celui en fait qui peut le plus se retourner contre nous parce qu'on finit toujours par devenir celui qu'on n'a pas voulu regarder. Et euh. Et là. Euh. Peut être. Moi j'aimerais qu'on fasse. Tu te rappelles des Shadow Comex? Oui, mais moi c'était. C'était une période où on mettait. On confier le Comex confié à des cercles de jeunes dans l'entreprise, des. Des sujets stratégiques pour leur. Pour avoir leur avis sur la manière de les résoudre. Puis après, c'était le Comex, le vrai, qui prenait les choses en main. Moi, j'aurais peut être envie de promouvoir l'inverse, c'est à dire promouvoir plus vite des jeunes à des postes de responsabilités, mais garder les vieux en conseil interne et avoir vraiment des shadow Comex de plus anciens qui en fait soit aident les plus jeunes à pas se sentir enfin à résoudre des problèmes compliqués en conseils.
Benjamin Suchar : Intéressant et d'ailleurs même en role model, on a beaucoup parlé. La CEO de Leroy Merlin à 28 ans qui est devenue DG et ça a beaucoup fait parler. Et finalement, il faudrait aussi pouvoir montrer les nouvelles carrières de senior des gens.
Bénédicte Tilloy : Ce qui est compliqué pour les carrières de senior, c'est la question de la rémunération. C'est à dire qu'en fait il faudrait avoir des courbes de rêve, accepter d'avoir des courbes de rémunération en cloche. Oui et et en fait, la question c'est comment ça, ça interfère avec la question de la retraite? Parce que si on accepte d'avoir une baisse de salaire en fin de carrière, en fait, il ne faut pas que ce soit le point de départ de la fin de la pension qui suit. Donc, il y a quelque chose à faire autour de ça.
Benjamin Suchar : Intéressant, hein? Finalement, tu dis on devrait accepter d'avoir une rémunération plus faible pour pouvoir aller travailler, mais faire en sorte que la retraite, elle ne se joue pas que sur la fin de carrière, mais qu'elle se joue sur les meilleures années. En fait.
Bénédicte Tilloy : C'est par exemple les fonctionnaires, c'est la fin de carrière, donc en fait, ça devient un problème pour eux. Moi, très concrètement, en quittant la SNCF, j'ai perdu de l'argent. Mais ça a été un arbitrage que j'ai fait. C'est à dire que je suis revenu dans un univers où mon salaire de départ ne comptait plus, et donc j'ai remis les compteurs à zéro et ça a rendu possible toute une série de choses. Et dans les start ups, en fait, on pari sur l'avenir et on se dit qu'on est prêt à remettre en question des choses au départ et à peu gagner sa vie au départ dans la perspective de la gagner plus tard parce que l'entreprise va bien fonctionner. Donc ça offre un modèle potentiel, mais j'ai bien conscience que c'est un modèle pour certains et pas pour tous. Donc il faudrait pouvoir travailler autour de ça, c'est à dire quelque chose qui autour de la rémunération.
Benjamin Suchar : Est ce que tu as entendu parler de l'IA? Jim C'est que quand tu regardes et que tu étudies les modèles d'intelligence artificielle, les biais qu'on peut tous avoir de manière générale sur les yeux, sur les seniors, ils sont reproduits. Et donc du coup, tu te retrouves avec l'IA qui va formuler les mêmes erreurs, les mêmes. Les fameuses histoires de l'infirmière et du médecin. Une femme avec avec un stéthoscope autour du cou, qui serait une infirmière et un homme qui serait un médecin? Tout à fait. Et par exemple, quand tu mets de l'intelligence artificielle au service du recrutement, automatiquement sur les cv d'une personne qui ont plus de 40 ans, ils passent à la trappe. Est ce qu'il faut rééduquer.
Bénédicte Tilloy : De toute façon la question de ça? La question de l'IA, c'est que ce qui est cruel dans l'IA, c'est que c'est l'avenir avec les données du passé. Et ça, c'est terrible de se dire ça, qu'on va, on va fabriquer l'avenir avec les données du passé. Il faut en fait, il faut tricoter l'expérience et la projection dans le futur. Et en fait, qu'est ce que Quelle projection dans le futur? l'IA va t elle manger pour que les données du passé ne soient pas que la reproduction du passé?
Benjamin Suchar : Hyper intéressant, hyper intéressant. On va terminer Bénédicte Tilloy par deux cartes qui sont en face de toi. Tu as une carte Utopie et une carte dystopie. Je te demande de choisir une de ces deux cartes pour pouvoir. Je ne sais pas si j'ai le droit de faire utopie, ou. Tu ne sais pas si c'est dystopie ou utopie. Ah d'accord. Alors tu vas voir, tu vas pouvoir le montrer à la caméra ici. Donc dystopie cette fois ci on est en 2040, on a encore un peu plus de temps. On est dans un monde où la population active vieillit, et il y a un décret européen qui impose à chaque manager de plus de 55 ans de passer tous les deux ans un test de maintien au management. QCM d'agilité digital, mise en situation émotionnelle, épreuve d'autorité inversée face à une équipe de juniors. Résultats seuls 28 % sont jugés maintenable. Les autres sont réaffectés, parfois rétrogradés sans préavis. Les syndicats hurlent à l'âgisme, les jeunes applaudissent. Le débat fait rage. Tu choisis quel temps? Quel camp tu choisis?
Bénédicte Tilloy : Quel camp j'ai envie de faire partie des 28 %. Déjà ça c'est le premier quand. J'ai envie de faire partie des 28 %. Ce que ça m'évoque, c'est qu'en fait, dans ce que tu décris sur la maintenabilité du senior dans la fonction, c'est sa capacité à se remettre en question. Se remettre en question, c'est accepter que ce qu'on a appris ne sert plus et qu'on doit apprendre ce qui sert. Et ça, si on ne fait pas ce travail là, en fait, on devient, on devient un problème. En fait, dans une organisation. Donc ça m'évoque ça en fait finalement.
Benjamin Suchar : En fait, il y a aussi ce qu'on dit, c'est que là, les critères y sont très techniques. Et tout ce que tu as dit là, pendant ce podcast, c'est que c'est pas tant la technique que tu as apporté, c'est cette expérience, c'est cette capacité humaine, c'est la vision que tu peux apporter, c'est le fait d'aller réussir à faire travailler les uns et les autres. Et ça, je ne sais pas si ça se teste techniquement.
Bénédicte Tilloy : En fait, moi, ma conviction, mon expérience, c'est que les projets se réussissent dans la relation aux autres. Par exemple, si je prends la question de la réunion, les réunions, c'est vraiment c'est l'horreur absolue. Dans une start up, ils consacrent une demi-heure, c'est déjà beaucoup. Et l'idée qu'on puisse faire des comités de pilotage qui dure 2 h, c'est impossible. Moi, maintenant, je remets ça en question parce que dans un comité de pilotage potentiel, il y a peut être des gens autour de la table dont on se dit qu'ils servent pas à grand chose, mais en fait, ce sont des alliés potentiels pour la suite qui ne sont pas dans le viseur. Si on les a, si à un moment donné on ne leur permet pas d'être à bord.
Benjamin Suchar : Donc il y a deux éléments en fait. Il y a l'intelligence collective qui peut arriver du débat, mais il y a aussi surtout que, même s'il n'y a pas d'intelligence collective, ce que tu dis, c'est que tu permets aux gens d'être. Partie prenante, de se sentir enfin de se sentir dans une histoire. C'est ce que tu disais au début du podcast, C'est comme ça que tu fais pour.
Bénédicte Tilloy : Exactement. Tout le monde. Et tu sais, il y a une histoire connue de Kennedy qui visite. La NASA dans la grande époque d'Apollo des programmes Apollo, et il voit le gardien aller à l'entrée et il lui demande Qu'est ce que vous faites? C'est quoi votre rôle? Il dit Bah, on essaie juste d'envoyer des petits hommes sur la Lune. Et en fait, le mec il est et c'est. C'est dans sa fiche de poste sans doute. C'est rien du tout. Mais si c'est ça son but. Et si c'est ça en fait, là, l'espoir qu'il a enfin de réussir sa carrière, c'est de contribuer à ça. Le fait d'être gardien et de ne faire que accueillir. Il va accueillir différemment, tu vois?
Benjamin Suchar : Il comprend le but. Il comprend le but final et. C'est. En fait partie. Et donc ça fait du sens. Finalement, quand on discute des enjeux de pouvoir, quand on discute des enjeux de génération, quand on discute de l'utopie, de la dystopie. Le fil conducteur, c'est le sens, c'est ce que tu dis avec ce gardien de la NASA. Et c'est réussir à partager le sens avec l'ensemble de son Comex, avec l'ensemble de son entreprise, pour pouvoir retrouver du vivre ensemble, retrouver de la créativité au niveau global.
Bénédicte Tilloy : C'est en fait permettre à chacun de mobiliser ce qui le rend le plus fier au service du projet en fait que tu lui proposes, auquel tu lui proposes d'adhérer.
Benjamin Suchar : Génial! Merci beaucoup Bénédicte Tilloy.
Bénédicte Tilloy : Merci à toi, à bientôt.
Benjamin Suchar : A bientôt. Merci à vous qui avez regardé cet épisode sur YouTube ou écouter sur les plateformes de podcast. Vous pouvez partager votre avis et vos questions en commentaires et soutenir le podcast en en parlant autour de vous. A très vite pour un prochain épisode!