Introduction/Thèmes abordés :Si je suis un manager toxique, ça veut dire que c'est la faute de ma mère. En partie, oui. Le pire pour un être humain, c'est pas de pas atteindre son rêve, c'est de pas avoir de rêve. C'est ça qui est terrible. Un bon manager, ça peut être un bon dictateur. Un bon manipulateur, pour le coup, à ce moment-là. Agassi va t'expliquer qu'il déteste viscéralement jouer au tennis. La prise de confiance, c'est le préalable à la prise de conscience. L'exemplarité n'est pas la meilleure façon d'influencer les autres, c'est la seule. Si je vous disais que nos premiers managers, c'était nos parents, que notre rapport au pouvoir, au plaisir et à la reconnaissance s'est joué bien avant notre premier CDD, entre deux punitions et un bulletin scolaire. Stéphane Michel, lui, en a fait un terrain d'études. 30 ans qu'il forme plus de 45 000 dirigeants à coup d'évidences pas si évidentes et de méthodes éprouvées avec ses enfants. Alors, est-ce qu'on est tous le produit d'un management parental bancal ? Ou est-ce qu'il existe encore un espoir d'élever et de manager sans traumatiser ? Bienvenue dans Beyond Work & Life. Je suis Benjamin Suchar, cofondateur et directeur général de Worklife. Allez, c'est parti. Les employeurs révolutionnent l'organisation du travail en intégrant le sport dans les plannings. Que pensez-vous du travail féminin ? Elles ne doivent pas travailler. Les personnes qui aident un proche handicapé ou malade auront désormais droit à un congé rémunéré. Aujourd'hui, les gens n'ont pas envie d'aller travailler. Je suis désolée de le dire. Je traverse la rue, je vous en trouve. Ils veulent être simplement des gens qui sont prêts à travailler. Cagoulés, vêtus de noir, depuis le début de la contestation contre le projet de loi de travail. Some jobs will go away. I hope everyone will live a much better life.

Benjamin Suchar : Bonjour Stéphane. Au début de ton livre, tu dis justement : Moi qui croyais que l'amour suffisait pour élever mes enfants, j'ai pris une sacrée baffe après une formation en management. Tu peux nous expliquer pourquoi ?

Stéphane Michel : Oui, alors effectivement, naturellement, on a tendance à penser que l'amour va suffire et qu'avec l'amour, on va pouvoir trouver toutes les clés pour élever nos enfants. Et je pense que tous les parents se sont rendus compte que ça ne suffisait pas et qu'il y a plein de moments où ils étaient un peu désarmés et où il leur manquait quelques clés pour... Moi, j'ai démarré mon métier dans un cabinet de formation au management où on nous demandait d'illustrer tous les principes de management qu'on enseignait, toujours par trois exemples. Un exemple, le management sportif, un exemple éducation et un exemple le management d'entreprise quand même, parce que c'était quand même pour ça qu'on était là. Je me suis rendu compte avec le temps que les exemples d'éducation touchaient beaucoup les participants que je formais et qu'ils appliquaient avant tout ce qu'on leur racontait dans leur maison. Pourquoi ? Parce que pour appliquer une technique de management, il faut un peu aimer l'autre, osons le mot. Et donc, avec les enfants, évidemment, qu'on a cette condition nécessaire, mais non suffisante. Et donc, du coup, les gens appliquaient beaucoup ça, d'abord avec leurs enfants. Et je me suis rendu compte que ça les aidait. Et c'est là où je me suis rendu compte que l'amour, justement, suffisait pas. Évidemment que c'est le prérequis essentiel, mais Dieu sait, si par amour, on fait parfois beaucoup de bêtises, on a parfois beaucoup de colère injustifiée, d'agacement injustifié ou de valorisation parfois surréaliste. Dans tous les cas, c'est bien évidemment de les aimer, mais ça, c'est un prérequis obligatoire, mais c'est encore mieux d'avoir quelques petits trucs et astuces qui peuvent aider. En tout cas, moi, ça m'a aidé.

Benjamin Suchar : Finalement, tu fais un lien un peu entre être parent, faire du management. Mais donc, en gros, si je suis un manager toxique, ça veut dire que c'est la faute de ma mère. C'est ça l'idée ?

Stéphane Michel : En partie, oui. Il y a une phrase de Sartre qui dit : Qu'est-ce que j'ai fait de ce qu'on a fait de moi ? Donc, on ne peut pas dire qu'on est seulement le produit des managements qu'on a reçus, parentaux, professeurs, autres membres de la famille, mais il y a une première assise là-dedans. Il y a une phrase que j'aime beaucoup, qui est de mon premier patron, qui était : Il n'y a pas de gens malsains, méchants, malhonnêtes. Il n'y a que des gens qui font ce qu'ils peuvent avec le niveau d'énergie qu'ils ont et les modèles comportementaux qu'on leur a donnés. Donc, effectivement, on peut imaginer qu'un manager toxique, il a peut-être croisé ça. Après, ce n'est pas une fatalité. On a le droit de faire sa rédemption, on a le droit de s'améliorer, on a le droit de se remettre en question, on a le droit de travailler sur soi. Maintenant, c'est vrai que les études montrent, par exemple, qu'il y a beaucoup de parents violents qui ont été le fruit d'un management violent et qui reproduisent les coups et les sévices qu'ils ont subis s'ils n'ont pas traité ça en thérapie, par exemple.

Benjamin Suchar : Tu dis, en fait, pas... Tu dis d'une manière générale, quand on regarde les parents, on dit souvent, il y a deux types de parents. Il y a soit les trop autoritaires, soit les trop laxistes. Finalement, tu dis, en fait, c'est un peu pareil avec les managers. Tu peux nous expliquer ?

Stéphane Michel : Il y a deux voies naturelles. Peut-être qu'on a besoin de redéfinir ce qu'on appelle le management, en tout cas ce matin ici, c'est que manager, c'est obtenir un résultat en passant par une tierce personne. Quand tu demandes le sel à quelqu'un à table, tu l'as managé sur le sel. Ce n'est pas forcément une relation hiérarchique. Un chef de projet, il manage des gens. Un manager fonctionnel qui n'est pas hiérarchique, il obtient les résultats de son équipe en fonctionnel. Et quand je vois ce que ma fille, elle obtient de moi, je pense qu'elle manage aussi. Donc, manager, c'est juste une relation d'influence. Et effectivement, pour influencer quelqu'un, il y a deux voies un peu naturelles que les gens vont prendre par rapport à leur personnalité. Soit ils vont se dire, alors tout ça est plus ou moins conscient. Soit Ils vont se dire : Pour obtenir ce que je veux, je l'obtiendrai par la force et par une exigence, dans le mauvais sens du terme du mot exigence, c'est-à-dire raide, agressive, violente. Donc, c'est tous les managers, petits chefs qu'on a tous croisés. Soit, ils vont se dire : Si je suis sympa avec eux, j'obtiendrai ce que je voudrais. Dans les deux cas, c'est pour obtenir ce que je veux. L'exigence poussée à l'extrême est l'autoritarisme et sympa poussée à l'extrême, c'est du laxisme. Et comme toujours, la vérité, elle est au milieu. C'est-à-dire que ce qui fonde C'est un équilibre qu'on passe sa vie à rechercher, même en tant que parents, c'est à quel point je dois autoriser des choses et qu'est-ce que je dois interdire. On n'est jamais vraiment sûr de le trouver. Moi, je me revois, enfant, Pardon, avec ma fille qui avait une pièce de théâtre à jouer, qui répète toute l'année et qui, quatre jours avant la pièce, me dit : Finalement, je ne veux pas y aller parce qu'elle est morte de peur. Est-ce qu'il faut céder et dire... Parce qu'elle hurlait, elle pleurait très fort. Est-ce qu'il faut céder ? Ok, je comprends. Ou est-ce qu'il faut maintenir l'exigence ? Je suis désolé, mais enfin, tu as répété toute l'année, il compte sur toi. Et si tu ne joues pas ton rôle samedi, ça va être compliqué pour la troupe.

Benjamin Suchar : Et c'est quoi la réponse, du coup ?

Stéphane Michel : La réponse, je pense qu'elle est très personnelle. On le sait à chaque fois. Je pense qu'il y a des moments où il ne faut pas lâcher. Moi, sur cette fois-là, je n'ai pas lâché. Et puis, il y a une autre fois où j'ai, je m'appelle de mon fils aîné qui devait aller à une grande manifestation. Il y avait beaucoup de monde et qui ne voulait pas y aller. Et moi, je pensais qu'il fallait l'obliger à y aller. Et puis, j'ai compris que cette fois-là, il ne fallait pas l'obliger, il fallait lâcher.

Benjamin Suchar : Tu sais, ça me fait penser à la gymnaste, Simone Biles, c'est ça ?

Stéphane Michel : Bien sûr. Ça, c'est sur Netflix d'ailleurs, le reportage. C'est sublime, c'est-à-dire que sur les jeux de Tokyo, de mémoire, elle ne le sent pas. En fait, elle dit un truc que vivent certains sportifs, c'est que son cerveau n'arrive plus à diriger son corps. Son corps ne lui répond plus comme il répond normalement. Une espèce de déconnexion. D'ailleurs, tous les sportifs vont dire que la blessure arrive jamais par hasard. Il y a toujours une force de frottement interne qu'il y a plein de paramètres différents. Ça peut être un conflit avec son conjoint, ça peut être un conflit familial, ça peut être le fait de ne plus avoir envie. Il y a plein de raisons possibles. Là, elle ne le sent pas. Elle, elle a été élevée par ses grands-parents et donc elle appelle sa grand-mère. Pour une fois, comme c'est le COVID, ils ne sont pas dans le public, en plus. Ils sont restés aux États-Unis. Je pense qu'elle n'est pas portée par cette présence-là qu'elle a habituellement en compétition. Elle appelle sa grand-mère pour dire : Je ne le sens pas, je vais faire forfait. Ce qui est magnifique, c'est la réponse de la grand-mère qui dit : Ma petite fille, si tu ne le sens pas, ne le fais pas, ce n'est pas grave. Ça, c'est la preuve d'un amour inconditionnel. Ce qui est assez rare chez les grands performeurs, que ce soit en musique, en sport ou dans le domaine artistique, c'est qu'ils sont parfois le fruit d'un amour conditionnel. Ils ne peuvent pas s'autoriser à ne pas y aller parce qu'ils risquent le désamour. Là, ils ne risquent pas le désamour.

Benjamin Suchar : En fait, c'est assez intéressant. Moi, j'ai posé la question à des parents en leur disant : Mais qu'est-ce que vous dites quand votre fils, votre fille, est devant une compétition sportive juste avant ? Et donc moi, j'ai entendu : Le mieux, fais-toi plaisir, c'est de participer. Il y en a qui disent : Non, tu vas gagner. Finalement, toi, il y a un autre message que tu préfères. Tu peux nous en parler ?

Stéphane Michel : C'est-à-dire que tous Ces messages contraignants ont une contraposée positive. Parce que quand tu commences à expliquer à des gens que le soit fort ou le soit parfait est potentiellement un peu névrotique, parce que d'être parfait tout le temps, c'est compliqué, j'en sais quelque chose, d'être fort tout le temps, ce n'est pas facile, ils te disent : Moi, Quand on me dit : Il faut qu'on soit parfait, il m'a fait réviser mes examens et avoir mon bac. Il y a une part dans l'exigence, que ça sous-entend qui est intéressante, puisqu'on disait tout à l'heure qu'il faut de l'exigence. Il faut de la bienveillance, de la valorisation et l'exigence. C'est un subtil cocktail des deux. Donc, dire à un enfant : Avoir une compète : Donne l'humeur de toi-même ou fais de ton mieux, ça le pousse à une exigence sans l'obliger à être le premier et sans le mettre dans le carcan de la perfection.

Benjamin Suchar : Et de la même manière, c'est là aussi où tu dis finalement dire : Tu n'en fais pas, fais toi plaisir, le mieux, c'est de participer, c'est pas non plus. Finalement, tu le pousses pas ton enfant.

Stéphane Michel : Oui, puis il y a une petite injonction paradoxale dans fais toi plaisir. Ça se décrète pas vraiment. C'est comme C'est comme lâche-prise, c'est comme sois heureux. Après, c'est toute la difficulté, c'est de trouver un message qui ne soit pas enfermant. En fait, est-ce que ça sert de comprendre les injonctions qu'on a eues, nous, en tant qu'enfants, finalement, quand on va devenir manager ? Oui, parce qu'on va les répercuter vers des collaborateurs, parce que tout ça, c'est un modèle éducationnel. On va les renvoyer vers les collaborateurs et tout le monde a vécu un manager qui exige d'être parfait, qui exige d'être fort en permanence et de rien montrer. On l'a tous vécu, ça. Encore une fois, chaque injonction, elle a un contenu intéressant. Ce qui est toxique dedans, c'est l'exclusivité de la demande. Et puis, soit fort et ne montre rien. Quand les gens ne montrent pas leurs émotions, ils les gardent à l'intérieur d'eux-mêmes. Et des gens qui gardent des émotions à l'intérieur, ils font, comme dirait quelqu'un que j'adore, qui est Jérôme Lefèvre, ils font des trous, ils font des boules avec. Ils font des ulcères ou ils des cancers. Donc, c'est plutôt sain d'exprimer ces émotions. Donc, en tant que parent, en tant que manager, il faut aller donner des messages qui sont plutôt positifs. Mais avec un collaborateur, tu es obligé de pouvoir être dans le négatif. Tu ne peux pas avoir le luxe de ne donner que des messages positifs. Bien sûr, il y a des messages, qu'on va qualifier de négatifs, mais qui ne le sont pas. L'être humain, quand tu lui poses une règle, quand tu dis à un enfant : Tu ne touches pas, il tend la main immédiatement. Il a juste envie de vérifier si c'est vrai ou pas. Et donc, le fait de faire autorité sur un enfant et de lui interdire un certain nombre de choses, c'est hyper sain. Un collaborateur, c'est pareil. Une entreprise, pour bosser avec beaucoup d'entreprises, comme tu l'as souligné, depuis 30 ans, j'ai vu beaucoup de start-upers me dire : Nous, on ne fera pas une boite à la papa. Nous, il n'y aura pas de règles. On ne va pas mettre des pointeuses. Les gens feront un peu comme ils veulent parce qu'on fait tout à la passion, au projet, à l'émulation collective. Ils ont raison, ça marche jusqu'à 30. Après, ce n'est plus possible. Et puis après, ils me disent un peu surpris : Mais tu te rends compte, on a embauché des gens, ils ont des comportements un peu chelous. Ils se permettent des trucs. Je vais être obligé de mettre des règles. Oui, bien sûr. Un groupe humain qui fonctionne sans aucune règle, c'est juste impossible. Même les entreprises les plus libérées, dont on revient un peu d'ailleurs, je lisais un article là-dessus récemment, il y a forcément une base de valeurs communes et de code de comportement commun. Il n'en faut pas 10 000.

Benjamin Suchar : D'ailleurs, tu dis règles, interdit, mais ça, ça ne marche que quand tu as des sanctions. C'est

Stéphane Michel : Le grand hiatus sur l'autorité, c'est qu'on croit que dédicter une règle va avoir un impact sur le comportement des gens. Moi, j'ai couvert les frigos de la maison de règlements intérieurs, ça n'a jamais changé le comportement de mes enfants. Et un jour, je dis à mon fils aîné : Ça va tomber. Et il me répond : Papa, ça tombe jamais. Pourquoi ? Parce que je n'ai pas le courage d'aller à la sanction, justement. Et donc, l'énoncé de la règle ne modifie pas le comportement des gens. Il y a une jolie formule dans le dialogue des Carmelites, elles disent : Ce n'est pas la règle qui nous porte, c'est nous qui portons la règle. Donc, ce qui modifie le comportement des gens, c'est la sanction.

Benjamin Suchar : Comment tu fais ? Parce que c'est difficile aussi, parce qu'en tant que manager, en tant que parent, c'est dur de réaliser une sanction parce que tu as peur de ne plus être aimé dans un certain côté.

Stéphane Michel : C'est tout le problème. Bien sûr que c'est dur. Ceux qui trouvent que sanctionner, ce n'est pas dur, il faut consulter, voir quelle est ça. Mais bien sûr que c'est difficile. C'est pour ça que mon fils me dit : Ça tombe jamais. Parce que je les aime tellement que j'ai du mal à aller jusqu'au bout. Donc, je dis : Attention. Et en entreprise, c'est pareil. Il y a le nombre de managers qui me disent : Moi, ça fait dix fois que je le dis. Mais quand on en est à dix fois, c'est qu'on est parti pour cent. On ne dit pas dix fois, on dit une fois, on dit deux fois. La troisième fois, on met un petit écrit pour sous-tendre l'entretien, pour dire : Ça fait trois fois que je te le dis, maintenant, je te l'écris. Puis après, il y a un dispositif juridique qui existe avec des avertissements, des mises à pied, il y a tout ça. Mais on ne veut pas aller jusque-là parce qu'effectivement, on risque le désamour.

Benjamin Suchar : Et tu dis, finalement, il y a Il y a des erreurs, il y a des fautes aussi. Comment tu fais une différence entre une erreur et une faute ? Comment tu l'expliques d'ailleurs à tes collaborateurs, à tes enfants ?

Stéphane Michel : Ça aussi, il m'a fallu du temps pour bien l'identifier. En fait, la question, elle est toute simple. Souvent, on y met un caractère intentionnel. Les gens vont te dire : La faute, elle est intentionnelle, l'erreur, elle n'est pas intentionnelle. On peut être en faute, mais totalement non-intentionnelle. C'est-à-dire que tu es en retard le matin au boulot parce que dans le RER, il y a un colis piégé, tu es en faute par rapport à l'horaire, mais ce n'est pas de ta faute, à moins que tu aies mis le colis piégé. Là, la différence se fonde sur : est-ce qu'il y a une règle, tout simplement ? Quand un manager me dit : Ça, c'est une erreur, c'est une faute, je ne sais pas c'est quoi la règle. S'il me répond : Moi, je vais demander que les reportings soient envoyés le vendredi à 15h00 et je le reçois le lundi, il y a règle, il y a faute. S'il n'y a pas de règle, en tout cas, la première fois, c'est traité comme une erreur, ça peut donner à la formalisation d'une règle. Mais la différence, c'est l'objectif.

Benjamin Suchar : Donc, chez WorkLife, nous, Mais nous, on a finalement une valeur qui dit : Les erreurs sont encouragées, mais jamais deux fois la même. Finalement, du coup, c'est une faute de faire deux fois une erreur ?

Stéphane Michel : La différence, c'est l'objectif. Face à une erreur, on est dans un objectif d'apprentissage. Le but, c'est de trouver une solution. Un policier qui te verbalise dans le couloir des bus parce que tu es dans ton véhicule qui n'est pas un bus, il n'a pas d'objectif pédagogique. Il ne veut pas faire évoluer ta compétence en conduite. Il veut juste dire : Monsieur, plus jamais ça. Donc l'objectif dans la faute, l'objectif de la sanction, c'est de supprimer un comportement. Dans l'erreur, c'est d'augmenter la compétence de quelqu'un. Donc, effectivement, une erreur qui se produit une fois, on est censé l'avoir débriefée, avoir trouvé une solution. Si elle se reproduit, c'est que soit la solution n'a pas été jouée et ça, c'est une faute. Parce qu'il y a une règle tacite qui est que si on a débriefé l'erreur et qu'on a mis en place une solution pour ne pas qu'elle se reproduise, la moindre des choses, c'est que tu joues la solution. Tu n'as pas joué la solution, ça, c'est un comportement hors-jeu. Il est possible aussi que la solution qu'on a trouvée ne soit pas la bonne. Donc une erreur débriefée qui se reproduit peut potentiellement être une faute. Je dis potentiellement parce qu'il y a toujours le petit doute de : Est-ce que la solution qu'on a trouvée était la bonne ?

Benjamin Suchar : Et alors, tu dis justement sur cette notion de règle, tu dis que pour pouvoir fixer une règle, il faut pouvoir montrer l'exemple. Mais souvent, tu dis : Fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais. Et puis souvent, tu dis : Attends, je suis CEO, je suis head of, je suis manager. Donc ça ne s'applique pas exactement de la même manière qu'à toi. Comment tu fais ça, finalement ?

Stéphane Michel : Il y a une phrase, je crois que c'est le gars qui avait fondé les scouts qui dit ça, qui dit : L'exemplarité n'est pas la meilleure façon d'influencer les autres, c'est la seule. Pour la génération de nos parents, c'était un concept. Parce qu'effectivement, il y avait, quand un manager n'était pas exemplaire, cette petite phrase qui circulait de : Oui, mais lui, c'est le boss. Oui, mais lui, c'est le manager. Donc, il y avait une espèce de passe droit. Aujourd'hui, ça s'est terminé. C'est-à-dire que l'exemplarité d'aujourd'hui, ce n'est plus un concept pour la jeune génération, c'est vraiment un principe. Et moi, je l'ai vécu. J'ai eu des profs qui ont eu des manques d'exemplarité vis-à-vis de moi, que j'ai raconté à mes parents et mes parents leur ont trouvé des excuses. Et moi, quand mon fils s'est pointé Mon fils aîné s'est pointé en me disant : Me tu te rends compte, le prof principal, premier cours de première, nous aborde en disant : Je vous préviens, avec moi, les petits cons, ça ne le fera pas. De quel droit il nous insulte ? Moi, je fais comme mes parents, j'essaie de tenir la ligne hiérarchique avec les profs et de défendre un peu l'indéfense C'est pas acceptable, en fait. Et de lui dire : Oui, mais bon, il essaye de faire un peu de jeune, de se rapprocher de vous. Il me dit : Ouais, et donc ? Explique-moi. Explique-moi en quoi son statut de prof l'autorise à me traiter de petit con. Et là, tu comprends qu'il y a un truc qui a changé. C'est-à-dire que ça, ce n'est plus possible. Donc, la jeune génération, elle pousse à l'exemplarité et elle supportera pas la réponse qui est : Ouais, mais tu peux comprendre, c'est le boss. Parce que justement, les modèles d'exemplarité n'existent plus. Tu regardes le nombre d'hommes politiques très haut placés qui ont été mis en examen Tu regardes le nombre de patrons très haut placés qui ont été mis en examen. Tu en as même certains qui vont à des concerts avec leur DRH. Les postulats de gens qui sont censés être exemplaires ont pété avec Me too, les acteurs, les réalisateurs, des gens qui sont un peu dans des postures de figures emblématiques ont été identifiés comme étant pas du tout exemplaires. Du coup, ce n'est plus parce que tu es dans cette posture de manager, de réalisateur, d'homme politique, que de fait, on t'accorde du crédit. On t'accorde du crédit que tu l'es vraiment.

Benjamin Suchar : Ok, très clair. Si on prend un peu de recul, tu parlais un petit peu de différence de ce que tu observais un petit peu il y a quelques années. Est-ce que maintenant, avec la Gen Z, finalement, les enfants sont devenus plus ingérables et donc c'est beaucoup plus difficile de manager ?

Stéphane Michel : Ce qui a changé, ce n'est pas générationnel, c'est la société qui a changé. C'est-à-dire que quand tes parents ont demandé à leurs grands-parents le pourquoi des choses, le sens, on leur a répondu : « Tu es trop jeune pour comprendre. Tu comprendras quand tu seras plus grand. » Valorisation ? Zéro. Zéro. Implication dans la vie de la famille, demander l'avis à un enfant. Moi, on m'a envoyé en colline de vacances, on ne m'a pas demandé si j'avais envie d'y aller. Entre autres, d'auto pour faire simple et passer par là. Le bébé est une personne. On a valorisé les enfants. On les a impliqués dans la vie de la famille. On leur a demandé : Tiens, cet été, uCPA, tu veux faire de la planche ? Tu veux faire du kayak ? Et on leur a demandé leur avis et on leur a répondu à la question du pourquoi. On leur a expliqué le sens des choses, beaucoup. On a fait de la pédagogie. C'est très positif. Sauf que ça, c'est des acquis. Quelqu'un qui a été élevé pendant toute son enfance, on lui répond à la question du pourquoi, on le valorise, on l'implique et on essaye de faire avoir un peu de morale et d'exemplarité. Quand il arrive dans l'entreprise, tu ne peux pas lui proposer un modèle différent. Donc, c'est le choc de génération. C'est parce que potentiellement, son manager, lui, n'a pas eu tout ce que le collaborateur a eu. Le manager, lui, l'a pas forcément reçu, mais la différence, c'est que la génération de tes parents, s'il n'est pas managé comme ça, sans explication du sens, sans valorisation, sans implication et sans morale, il déclenchait un moteur auxiliaire qui était la souffrance et le devoir, et ils bossaient quand même. Ils bossaient quand même. Et donc, tout le monde a entendu des oncles, des parents à des repas de famille se plaindre de management de dictateurs, horrible. Et tout ce qu'un mot à la bouche, c'est : Mais tu attends quoi pour te barrer ? Papi ou papa ou tonton. Et la réponse ou tata, était : Non, mais c'est le boulot. C'est une espèce d'acceptation d'un management qui explique pas le sens, qui valorise pas. La jeune génération, comme ils ont été habitués à ça dans l'enfance, si ça y est pas dans l'entreprise, ils se barrent. Parce qu'activer la souffrance ne les intéresse pas. Moi, mes enfants n'ont jamais lu une notice de leur vie. Moi, le temps que je finisse la page 1 de la notice, ils avaient déjà fait trois tableaux du jeu. Donc, c'est une qui rentre empiriquement dans les sujets. À cause d'Internet ou grâce à Internet, il y a toujours un tuto qui m'explique comment faire le truc. Alors, ça contrarie un peu les anciens qui disent : Moi, j'ai attendu 20 ans avant d'oser lever la main en réunion pour proposer une idée ou dire : Tiens, j'aimerais bien qu'on m'implique un peu. Et eux, ils veulent au bout de Bien sûr. Donc, c'est plutôt chouette. C'est un petit peu plus compliqué à manager. Oui, quand même. Mais pour ça, il y a des très bonnes formations.

Benjamin Suchar : Mais donc en fait, finalement, ça ne sert pas à grand-chose d'aller former les managers pour pouvoir aller Vraiment, aller toucher le problème au départ. Il faut éduquer d'une manière différente. Tu dis aussi, finalement, pour pouvoir coacher, pour pouvoir être un bon manager et on pourrait faire la transition avec peut-être parents, tu dis : Finalement, faire des compliments, ça ne sert à rien.

Stéphane Michel : C'est un peu provocateur, mais c'est vrai que sur les compliments, il y a un vrai sujet. D'abord, on est, nous, dans un pays où qui est le champion du monde de la litote, puisque quand Rodrigue, nous, on a appris que pour dire : Je t'aime, on dit : Va, je ne te mets point. C'est ce que dit Chimène à Rodrigue dans Le Cid. Donc, Rodrigue, il ne sait pas. Va, je ne te mets point, il faut qu'il inverse le truc. Et tout est comme ça. C'est-à-dire qu'on ne dit pas c'est bien, on dit c'est pas mal, on ne dit pas c'est bon, on dit : Ce n'est pas mauvais. Donc déjà, nous, les compliments, on les fait souvent avec des mots négatifs. Deux, on y associe parfois la surprise, qui est une émotion, il ne faut surtout pas... J'étais vachement surpris de ton Mon dossier, il est vachement bien. Ça, c'est à nous le tranchant. Donc déjà, on ne sait pas très bien les faire. On va faire le reproche aux Américains de le faire qu'avec des superlatifs dont on pourrait mettre en doute la sincérité. Amazing, wonderful. Mais au moins, ils savent le faire. Je pense qu'il faut leur piquer la capacité à le faire et il faut le remouliner à la française, beaucoup plus fin, croissant, restaurant, en le faisant idéalement avec des mots positifs, mais surtout sur des faits. C'est-à-dire ?

Benjamin Suchar : C'est-à-dire que...

Stéphane Michel : C'est là où il y a une différence entre management d'entreprise et avec les enfants. Les enfants : Tu es magnifique, je t'adore, tu es superbe, tu es rapide, tu es intelligent, t'es malin, même si on ne saura jamais si c'est vrai, ça structure son estime de lui-même, c'est-à-dire que la valeur qui s'accorde. Donc là, il ne faut pas être avare. Parce que les gens me disent : Si on est trop positif, après, la vie ne lui fera pas de cadeau. Exactement, tu fais des enfants, en vrai. C'est justement parce que la vie ne lui fera pas de cadeau, dans la cour d'école, il va prendre cher, qu'il a intérêt d'y arriver avec un peu de d'estime de lui-même. Donc, les messages sur l'être vis-à-vis de l'enfant, il n'y a aucun problème, on y va. Et puis, en plus de l'être, aussi des messages sur les faits. C'est-à-dire que le plus beau cadeau qu'on puisse faire à quelqu'un, c'est de lui dire la qualité ou les qualités qu'il a, parce qu'il peut reproduire. Il y a une étude qui a été faite, je crois que j'en parle dans le bouquin, aux États-Unis, avec des élèves d'école primaire à qui on peut faire des puzzles. Groupe A, groupe B. Le groupe A, on leur dit : Vous êtes fantastiques, vous êtes top, vous êtes géniaux, donc des compliments sur l'être. Et le groupe B : Vous êtes méthodique, vous êtes concentré, vous êtes appliqués. Et ensuite, on laisse le choix à ces groupes A, groupes B de choisir un puzzle de leur choix, soit un puzzle qu'ils ont déjà fait, soit un nouveau. Le groupe A reprend toujours un puzzle qu'ils ont déjà fait. Le groupe B prend systématiquement un nouveau puzzle. C'est-à-dire qu'ils cherchent à progresser. Comme les gens ont la racine de leur succès, connaissent ce qui les fait gagner, ils n'ont pas peur de continuer. Alors que quand on est sur des superlatifs et qu'on valorise les gens sur l'être, ils s'arrêtent. Quand tu détricotes en entreprise des cas de gens dont on dit : Il ou elle a pris le melon, il a la grosse tête, mais il n'est pas rentré comme ça. Il l'est devenu, ça fait X années qu'on lui dit que c'est une star des ventes, que c'est le meilleur vendeur de la boite et que sans lui, la boite tournerait pas. Il a pris tellement de superlatifs qu'au bout d'un moment, il a le droit de ne demande qu'à le croire. Un compliment, on peut en faire, mais en management d'entreprises sur des faits, sur ce qui fait gagner la personne et avec les enfants sur les deux.

Benjamin Suchar : Donc, on peut risquer à trop valoriser ?

Stéphane Michel : Non, pas dans ce pays. Pas dans ce pays. Je rends compte, les gens en coaching individuel me le confient toujours à voix basse comme une espèce d'infirmité locale en me disant : Vous savez, moi, je n'ai pas un grand niveau de confiance en moi. Oui, comme tout le monde. Je veux dire, je croise beaucoup plus de gens qui manquent de confiance en eux que des gens qui ont trop de confiance en eux. Donc, en France, on ne crèvera jamais d'excès de positif, on a un peu de marge.

Benjamin Suchar : Et donc, tu dis aussi : Finalement, la prise de confiance, c'est le préalable à la prise de conscience. C'est quoi ça ?

Stéphane Michel : C'est-à-dire qu'en fait, Pourquoi il ne faut pas être avare de positif ? Parce que ce qui demande le plus d'énergie à quelqu'un, c'est de se remettre en question. Ce qui est parfois décrété par les managers en disant : Ils n'ont qu'à se remettre en question, comme si on pouvait le décréter. Pourquoi se remettre en question ? Ça demande de l'énergie ? Parce que tu dois t'auto-agresser, assumer un échec, reconnaître une erreur, dire : Je n'ai pas été bon là-dessus. Tout le monde peut faire l'expérience du chemin qu'il lui faut, mental, entre le moment où on lui dit, notamment dans des disputes de couple ou dans la vie de tous les jours ou au boulot, entre le moment où on lui dit : Là, tu as déconné et le moment où il se dit : En vrai, j'ai déconné. Entre le message reçu et le message intériorisé qu'on s'envoie sincèrement à soi-même de : Là, je n'ai vraiment pas été à la hauteur. Donc, tout le monde le sait que ça prend de l'énergie de s'auto-agresser en disant : Là-dessus, je n'ai pas été bon. Donc, comme tu brûles beaucoup d'énergie à le faire, il en faut beaucoup. Donc, ne peut se remettre en question que quelqu'un qui a suffisamment d'énergie. Or, l'énergie d'un individu, c'est tout simple, c'est l'écart qu'il y a entre son niveau de confiance en lui et ses doutes. Donc, quelqu'un qui n'a pas confiance en lui ne peut pas brûler une partie pour dire : En fait, là-dessus, je reconnais que j'ai déconné. Et donc, quand quelqu'un n'a pas d'énergie pour se remettre en question, il va remettre en question le monde. Parce que c'est vachement plus simple. Ça ne consomme rien, ce n'est pas ma faute, c'est les autres, c'est tout ce que tu veux. Notre cerveau est capable de fabriquer. Notre cerveau, il est très fort, il est fait pour nous protéger. Donc, si tu lui dis qu'il n'est pas bon, il va te trouver toutes les raisons du monde pour te dire que c'est faux et que la faute vient d'ailleurs. Le manager, son rôle, c'est de recharger la batterie de confiance. C'est pour ça qu'il faut valoriser les faits, ce qui le fait gagner. Quand il a cette énergie, cette confiance, là seulement il peut se dire : « Ok, j'ai l'énergie pour me confronter à mon erreur. » Et ça, c'est la prise de conscience.

Benjamin Suchar : Donc, on ne peut pas demander la prise de conscience avant la prise de confiance.

Stéphane Michel : Jamais. C'est une erreur fondamentale de management et d'éducation. Si vous dites à votre enfant : « Tu es nul en maths, va faire tes devoirs », ça ne sert à rien. Il faut lui dire : « Tu as réussi ça, tu es doué pour ça. Maintenant, on s'attaque à un point précis : ce chapitre de maths. Je crois en toi. » On donne d'abord la confiance. On se met en situation d'apprentissage.

Benjamin Suchar : C'est une très bonne synthèse. On parlait d'élever les enfants et de l'idée d'un management parental. Est-ce qu'on est condamné à faire des erreurs, et si oui, comment les corriger ? Comment rattraper le coup ?

Stéphane Michel : Évidemment qu'on est condamné à faire des erreurs. On est les premiers parents de nos enfants. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. La seule chose qui compte, c'est l'intention et la capacité à s'excuser. Quand tu déconnes en tant que parent, le plus beau cadeau que tu puisses faire à ton enfant, c'est de lui dire : « Pardon. J'ai été injuste. J'ai eu une réaction que tu pourrais qualifier de manager toxique, mais j'avais pas le droit. » Et ça, c'est l'exemplarité de la remise en question. C'est le plus beau modèle que tu puisses lui offrir.

Benjamin Suchar : Stéphane, merci beaucoup pour tous ces éclairages. C'était passionnant.

Conclusion :C'était Beyond Work & Life, le podcast de Worklife. Merci de nous avoir écoutés. Retrouvez Stéphane Michel dans son livre et toutes nos ressources sur le site de Worklife. À très bientôt.